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Æon, la nuit des temps

© Photo Y.P. -

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© Photo Clément Debailleul -

© Photo Clément Debailleul -

« L’éternité, c’est long, surtout vers la fin ! », postulait naguère Woody Allen.

A y bien réfléchir, cette boutade nous pose un problème qui depuis des millénaires hante le genre humain : notre perception du temps et ses différentes appréhensions culturelles, sociales et scientifiques.

C’est ce temps et ses affres qui constituent le substrat de cette nouvelle création de la compagnie 14:20. Le temps qui va être matière à un fascinant spectacle, mis en scène par Clément Debailleul, Æon, la nuit des temps.

Æon, ce mot grec qui signifiait au commencement « vie », « être » 
Æon, l’une des trois divinités, avec Chronos et Kaïros. Æon, le dieu de l’éternité, justement.

Les fidèles lecteurs de ce site le savent bien : je suis un fan absolu de cette compagnie pas comme les autres, « spécialisée » dans ce concept de magie nouvelle développé par Clément Debailleul, Valentine Losseau et Raphaël Navarro.

Je vous rappelle mes émerveillements successifs pour ce Faust, à la Comédie française, ou encore La veilleuse, ici-même au 104.

Æon, ce spectacle actuel mêle magie nouvelle et sciences pour nous proposer de nous confronter à une merveilleuse esthétique du temps.
Je pèse cet épithète « merveilleuse ». Ce que nous allons voir relève véritablement du merveilleux.

Magie, physique, neurosciences, psychologie cognitive, chronobiologie vont agir en symbiose, de façon totalement complémentaire, au service d’un lemme qui relie Platon, Newton et Einstein : le temps n’est qu’apparence, le temps n’est pas ce que l’on croit, le temps vécu n’est pas celui que l’on pense vivre.

D’autant que la perception de ce temps peut être différente selon les individus.

Pour permettre à cette pièce chorégraphique d’exister, le metteur en scène Clément Debailleul a travaillé avec Alice Guyon, enseignant-chercheur pendant 10 ans à l’Université Paris 6 puis chercheur Nice Sophia Antipolis.

Elle occupe actuellement un poste de directeur de recherches au CNRS. Elle est spécialisée dans les interactions entre cerveau et système immunitaire.

C’est une voix qui résonne une fois la salle et le plateau plongés dans le noir.
Celle de Michel Siffre, ce spéléologue qui passa volontairement plusieurs séjours au fond de gouffres, sans lumière, sans repères temporels, pour étudier les mécanismes sensoriels et perceptifs qui découlent de ces privations.
Sans ces repères temporels, nous dira-t-il, la conscience est modifiée.

Le gouffre, la caverne et son mythe.

C’est ce que nous découvrons sur scène. Un lointain étrange, fait d’un mur évoquant des pierres étranges, des roches mystérieuses.

 

© Photo Clément Debailleul -


Et puis, il paraît, dans une semi-obscurité. Le danseur et chorégraphe Aragorn Boulanger.
En grosse chemise à carreaux.
Il n’est pas seul. La mère, la génitrice est là, incarnée par Armelle Bérengier. Comme un premier symbole de ce temps.

Ce que va nous montrer (ou pas) Aragorn Boulanger va nous sidérer, nous émerveiller, nous désorienter complètement.

Notre cerveau va se faire piéger en permanence.
Nous allons être forcés à reconsidérer notre système de perception, notre capacité à être certains de ce que l’on voit et l’on ressent.

La lumière va jouer un grand rôle.
Cette petite ampoule qui descend des cintres, tout d’abord, et que le danseur va mettre en mouvement, nous désorientant une première fois.

 

© Photo Clément Debailleul -


La lumière qui va éclairer pendant de nombreuses périodes successives d’une à deux secondes le plateau.
Durant ces petits temps lumineux, Aragorn Boulanger bouge. Le noir revenu, nous imaginons durant le même temps très court la suite de son mouvement. Et pourtant, les projecteurs rallumés, nous ne voyons pas ce que notre cerveau avait prévu d’anticiper. Et tout recommence.

C’est à chaque fois phénoménal et époustouflant.
C’est également d’une beauté stupéfiante.

 

© Photo Clément Debailleul


Il s’élève dans les airs, également, marchant sur cette étrange paroi. Est-ce bien réel, notre cerveau est-il une nouvelle fois pris au piège ?
Et d’ailleurs, cette paroi, est-elle immobile, ou évolue-t-elle, imperceptiblement mais sûrement ?

Et ce grand cercle étrange qui descend des cintres, a-t-il un rapport avec ces ombres projetées, changeantes et en mouvement, alors que le corps du danseur avance devant nous ?

Durant une heure et quart, nous sommes amenés à remettre en permanence en cause notre conception de la réalité.
Nous ne sommes jamais certains de ce que nous voyons ou croyons voir.


Ce magnifique spectacle d’un point de vue formel est de ceux qui vous font profondément douter.
On ressort de la salle complètement ébranlés dans nos certitudes. Comme désorientés.


Qu’est-ce que j’ai vraiment vu ?
A quoi ai-je vraiment assisté ?

Aurais-je été trompé en permanence, et ce, pour mon plus grand plaisir ?

Ne manquez pas cet Æon, fascinant, onirique et mystérieux !

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