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Les chaises

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Au royaume des Vieux, les derniers seront les premiers ! Et peut-être réciproquement, d’ailleurs !

Ou quand le metteur en scène Thierry Harcourt s’empare du chef d’œuvre d’Ionesco, avec une vraie maestria et un réel sens de ce théâtre qu’on qualifie souvent d’absurde, dans une vision un peu réductrice.

Les chaises est une pièce qui détonne (et détone aussi) quelque peu dans l’œuvre du dramaturge.

Alors que ce théâtre dit de l’absurde est évidemment la principale marque de fabrique de cet auteur majeur, la pièce se situerait plutôt dans un théâtre de l’irrationnel ou du fantastique, même.

Une pièce qui nous provoque : comment trouver un message à cette œuvre, dès lors que l’auteur fait en sorte que son personnage principal ne parvienne pas à annoncer au monde et à l’univers entiers, le sien, de message !

Œuvre métaphysique, pièce qui pointe le vide intersidéral de nos existences, pièce que la quête de l’absolu, propos sur la supposée vérité de nos consciences ?
C’est tout à la fois, et encore bien plus, ce que voudra bien y trouver en tout cas chacun des spectateurs.

Un vieux et une vieille, donc.

Près de deux-cents ans à eux deux, mariés depuis soixante-quinze ans.
Lui, maréchal des logis, a concocté durant toute son existence un message ultime à délivrer à l’humanité entière. Pas moins !

Elles nous attendent dès notre arrivée dans la salle noire du Lucernaire, ces fameuses chaises.
Imbriquées l’une sur l’autre, indissociables, comme une allégorie de ce qui nous attend.
De chaque côté, un marche-pied médical, de ceux qui permettent de grimper plus facilement sur un lit d’hôpital…

Et puis de la fumée. Beaucoup de fumée. Comme une vision méphitique et nauséabonde du monde extérieur à Sémiramis et à son maréchal des logis pas chef.

Les voici qui pénètrent justement sur la scène. En uniforme. (Comme un pressentiment des récentes annonces ministérielles pour notre école publique ?)
Costume noir élimé (pantalon ou jupe) qui a connu des jours meilleurs sur chemise blanche à col cassé, godillots aux pieds. Deux silhouettes fascinantes.

Frédérique Tirmont et Bernard Combrey vont nous délivrer une petite leçon de théâtre, à laquelle tout apprenti comédien et toute apprentie comédienne devraient assister.
C’est bien simple, les deux vont nous capturer dans leurs filets, pour ne plus nous lâcher qu’au bout d’une heure et cinq minutes.

Les deux nous font immédiatement savourer ce texte pas si évident que cela à restituer.
Il faut beaucoup de présence, d’engagement, de force comique, de maîtrise gestuelle également, pour pouvoir s’en emparer à bras le corps.

Le corps, justement. Et non pas seulement le texte !

Thierry Harcourt a travaillé de façon très judicieuse et très fine sur la notion de déséquilibre, sur la fragilité du corps face au monde.
Les corps qui tressaillent, tressautent, les personnages, notamment celui du Vieux, qui cherchent en permanence un équilibre, un moyen d’exister dans un monde hostile. Un monde chaotique, au sens philosophique du terme.

Ici, Bernard Combrey s’en donne à cœur joie, qui semble sur une corde raide en permanence, que ce soit sur le sol ou perché sur son marchepied.
De sa démarche souvent vacillante, il nous dit ce déséquilibre, ce sentiment de déliquescence, cette impression de fragilité.

Ces deux corps, Thierry Harcourt les place avec une formidable présence sur le plateau, comme s’il était hors de question qu’ils soient ailleurs.
Côte à côte, sur les genoux l’un de l’autre, se tournant le dos, se faisant face, ici, toute une subtile grammaire du placement des comédiens est mise en place. Comme le sentiment qu’il ne pourrait pas en être autrement.

Frédérique Tirmont est également très impressionnante, à la fois femme et mère de son mari, le maternant, l’apostrophant, lui reprochant son manque d’ambition avec une sorte de retenue très intéressante.

Les deux forment un grand couple ionescien de théâtre, de ceux que l’on n’oublie pas de sitôt. Les réunir fut une vraie grande et belle idée !

De grandes scènes nous attendent, comme celle, de l’accueil et du placement des invités, réalisées avec des ellipses et une économie de moyens que j’ai beaucoup appréciée.

Au final, ce spectacle très maîtrisé, totalement abouti est de ceux qui se dégustent avec délectation, l’un de ceux qui comptent vraiment.
Il faut aller découvrir cette remarquable vision d’un chef-d’œuvre dramaturgique du XXème siècle !

Alors, on a ri, mon chou ?

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