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Biographie, un jeu

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Et vous, que changeriez-vous ?
Changeriez-vous seulement quelque chose ?
Changeriez-vous quelques détails de votre vie passée, ou bien décideriez-vous de tout effacer et de recommencer ?

Ce sont ces questions que le dramaturge suisse d’origine autrichienne Max Frisch nous pose, par le biais de ce brillant spectacle, à la fois léger et profond au cours duquel chacun d'entre nous ne peut s’empêcher de se projeter dans la peau de ce Bernard Kürmann ci-devant universitaire, éthologue reconnu.

 

Pouvoir rejouer certaines scènes de sa propre vie, transformer sa biographie, qui n’a jamais caressé ce fantasme ?

Pour le spécialiste des comportements animaux qu’est le héros de la pièce, cette possibilité est devenue bien réelle.

 

J’en veux pour preuve ce personnage mystérieux, mi-metteur en scène, mi-ange qui fait rejouer à Kürmann les principales scènes de sa liaison avec Antoinette Stein, rencontrée à l’occasion d’une fête donnée à domicile.

 

À partir de ce point de départ, l’auteur nous plonge dans une vertigineuse succession de moments-clefs d’une vie d’homme contemporain mais aussi intemporel. Un homme fragile, angoissé, qui va se voir confronté à ses choix passés.

 

Frédéric Bélier-Garcia a pris à bras le corps ce texte pour en faire un spectacle d’une grande rigueur, d’une très belle intensité, dans lequel il a parfaitement su, dans un premier temps, respecter la démarche de l’auteur. Ici, rien n’est expliqué : nous sommes en permanence bousculés par ces scènes « re-jouées », et pourtant nous ne sommes jamais perdus.

C’est peut-être la principale qualité de ces presque deux heures qui en comptent par ailleurs beaucoup d’autres.

 

Le metteur en scène a eu la judicieuse idée de s’appuyer sur la magnifique scénographie de Alban Ho Van. Les décors modulables seront en permanence déplacés à vue de façon très légère afin de matérialiser les changements souhaités par Kürmann.

Ces mêmes décors, dont l’inéluctable évolution matérialisera ce qu’il faut finalement penser de cette possibilité de chambouler sa vie. Je vous laisse découvrir par vous-même.

 

La direction d’acteurs est d’une précision et d’une fluidité absolues. Bélier-Garcia nous propose un véritable ballet des corps des comédiens.
Cinq comédiennes et comédiens qui vont interpréter cette partition de façon brillante : nous sommes vraiment pris par ce qui se joue devant nous. Il sera impossible de ne pas être happés par ce que ce quintette nous propose.

 

Kürmann, c’est José Garcia. Loin de toute grosse cavalerie, le comédien interprète avec beaucoup de sensibilité et de finesse cet homme-là. Il réussit à nous confronter à un personnage universel face à ses questionnements et à sa conscience.

Le très beau profil psychologique qu’il nous présente repose sur une interprétation à la fois grave et parfois enjouée. S’il nous fait rire c’est bien parce que nous retrouvons un peu de nous-mêmes dans ses réactions et ses propos.

Son jeu reposant sur de réjouissantes ruptures nous permet à la fois cette appropriation et cette distanciation.

 

Isabelle Carré incarne de façon très habitée cette femme qui se retrouve en tête à tête avec l’universitaire lors de cette fameuse fête.

Sa progression de jeu sera remarquable. Elle commence à jouer de façon très froide son personnage à tel point que je me suis demandé si elle ne parodiait pas une certaine Isabelle Huppert. Et puis, progressivement, de façon subtile et jouissive, elle bifurque vers un côté plus enjoué, plus déluré, presque fantasque.

 

Le couple Garcia-Carré fonctionne à la perfection. Il est impossible de ne pas croire à leur(s) histoire(s) et notamment à la scène de leur rencontre qu’on retrouve à chaque fois avec grand plaisir.

 

Jérôme Kircher est ce mystérieux démiurge, ce metteur en vie, de noir vêtu, qui n’est pas sans ressemblance avec le metteur en scène de la pièce.

Comment ne pas penser à Bruno Ganz dans Les ailes du désir du cinéaste Wim Wenders ? Son personnage présente en effet des similitudes avec ce rôle.

Lui aussi nous frappe par la grande rigueur de son jeu à la fois tout en retenue et en subtilité.

 

Ana Blagojevic et, hier, Grégoire Didelot complètent brillamment la distribution, avec notamment une domestique haute en couleurs et un amant architecte au prénom original qui nous fera beaucoup rire.

 

Je vous conseille vivement de diriger vos pas du côté du théâtre Marigny pour assister à cette partie d’échecs où, si tous les coups sont permis, tous ne sont pas pour autant autorisés.

C’est un spectacle d’une grande finesse qui ne peut laisser personne indifférent.

Biographie, un jeu
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