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Carmen

© Photo Y.P. -

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Une Carmen à grimper aux rideaux !

Elle est de retour au bercail, la Carmencita, là où le 3 mars 1875, elle affirma pour la première fois que l’amour était enfant de Bohême.
On le sait, le succès ne fut pas au rendez-vous : trop de vérité sur scène, héroïne trop éprise de liberté, livret jugé trop scabreux, sans compter une partition jugée trop luxuriante.
Beaucoup trop de trop pour le public bourgeois parisien.
Georges Bizet, profondément affecté, ne saura jamais qu’il avait composé l’opéra le plus populaire et le plus joué au monde. Une crise cardiaque le terrassera le 3 juin de la même année.

Il faudra attendre une version orchestrale de 1876 pour que l’œuvre connaisse le succès.

Louis Langrée, l’actuel patron de l’Opéra-Comique peut enfin présenter dans ses murs la version 2023 de cet opéra, une production reportée en raison de la crise sanitaire que l’on sait.
C’est d’ailleurs lui, avant de rejoindre la fosse et l’Orchestre des Champs-Elysées, qui vient nous rappeler ce report obligé, et nous souhaiter une bonne soirée. Elle le sera !

Une fois sa baguette retrouvée, il lance ses troupes dans la célébrissime ouverture.
Surprise : le tempo est très rapide.
En effet, il a choisi de donner la toute première version, celle évoquée un peu plus haut, et dans laquelle Bizet avait communiqué des indications métronomiques très précises.
Ce sont ces tempi que le patron des lieux respectera à la lettre.

Immédiatement, une autre surprise nous attend : les musiciens jouent sur des instruments anciens, ce qui va donner une couleur un peu inhabituelle à l’œuvre. C’est ainsi notamment que les cordes frottées sont en boyau, et non pas métalliques, ce qui confère une couleur toute particulière, suave et ronde aux parties concernées.

Louis Langrée, on connaît sa très grande capacité à mettre en avant toutes les subtilités d’une œuvre musicale.
Une nouvelle fois, son travail, sa direction d’orchestre, faite de délicatesse et de puissance réunies, la précision dont il fait preuve, sa propension jamais prise en défaut à savoir équilibrer au mieux tous les pupitres, à tirer le meilleur de ses musiciens, une nouvelle fois, tout ceci va nous combler.
Durant ces trois heures, sans jamais tomber dans les pièges inhérents à ces « tubes » appartenant au patrimoine mondial de l’humanité, avec le raffinement qui est sa marque de fabrique (on se souvient de son travail ici-même sur Hamlet et sur Roméo et Juliette), le chef d’orchestre nous ravit !

Une distribution de très haut niveau sera à la hauteur de ce ravissement orchestral.
Au niveau musical, cette Carmen sera une très grande Carmen !

C’est Gaëlle Arquez qui incarne la plus célèbre des employées des manufactures de tabac.
La mezzo-soprano est une grande Carmen, une Carmen de combat, quasi féministe.
Un combat qu’elle mène pour la reconnaissance de l’émancipation de la femme dans une société patriarcale.
Ici, nous avons affaire à une héroïne qui ne va pas forcément dans la direction des codes traditionnellement attendus : plutôt que sensuelle, plutôt qu’aguicheuse, elle est une militante du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes.
Pas le genre de Carmen à minauder pour les beaux yeux d’un tel ou un tel.
Ici, l’héroïne incarnerait plutôt une « dom juane », à prendre ou à laisser.

Mademoiselle Arquez, charismatique, envoûtante, pourtant souvent éclairée crûment et par une lumière froide de projecteurs douches ou des ronds de lumière, chantant souvent assise, sera grandiose.
Son timbre suave, parfois rauque, ses nuances merveilleuses, ses forte majestueux ou ses pianissimi intimistes et délicats provoquent bien des émotions aux spectateurs qui ne boudent pas leur plaisir. Elle sera applaudie dans la quasi-totalité de ses airs, et ovationnée aux saluts.
Une grande Carmen, vous dis-je !
Nous avons hâte de la retrouver en décembre prochain, toujours salle Favart, dans le rôle-titre de Fantasio.

Le couple Carmen-Don José fonctionne à la perfection, grâce au ténor Frédéric Antoun, qui confère à son personnage une remarquable ambivalence : bien entendu, nous sommes horrifiés par le meurtre final de cette femme, mais le chanteur parvient à nous inspirer un sentiment presque d’empathie.
Les deux timbres se complètent de façon merveilleuse. Applaudissements nourris pour lui aussi.

(En parlant de meurtre, une petite digression : dans le programme de salle qu’il vous faudra absolument acquérir, vous trouverez un passionnant entretien avec la magistrate Béatrice Blanc, qui nous explique comment notre société est passée du concept de « crime passionnel » à celui d’ « homicide par conjoint », et nous rappelle que le terme « féminicide » ne fait pas (encore?) partie du code pénal français.)

Micaëla, c’est la remarquable soprano kosovar Elbenita Kajtazi, qui fait ses débuts à l’Opéra comique.
Elle existe pleinement face au personnage principal, avec une grande et irréprochable technique vocale, une délicatesse indéniable dans le timbre et une belle maîtrise dans la puissance. On ne peut qu’être convaincu par ce personnage fragile, se posant en amoureuse malheureuse du brigadier.

Ah ! Mais voici qu’arrive Escamillo, à l’allure plutôt d’un pilier du stade toulousain qu’un toréro.
Jean-Fernand Setti sera lui aussi remarquable de charisme, de présence, d’aura. Le chanteur emporte immédiatement l’adhésion du public !

Le reste de la distribution sera à l’avenant, avec notamment la basse François Lis, qui campe un formidable Zuniga. Le chanteur est lui aussi un comédien accompli.

Il faut noter dans cette distribution très cohérente et très homogène un sous-emploi de luxe : c’est la sociétaire de la Comédie française Sylvia Bergé qui lit en voix off la lettre adressée à Don José par sa mère.

Le chœur Accentus constitue décidément l’une des meilleurs formations actuelles européennes. Dirigés par Christophe Grapperon, les chanteurs nous gratifient d’une magnifique pâte sonore, pleine, entière, ronde. Là aussi, encore et toujours un vrai bonheur !

Et puis la mise en scène…
Oui…

Andréas Homoki est parti d’une bonne idée : nous monter une espèce de Back to the future : un jeune homme en costume très contemporain se retrouve sur un plateau presque nu, trouve un livre (la nouvelle de Mérimée?) et voit apparaître les deux personnages féminins de l’œuvre tourner autour de lui.
Qui est-il ce jeune homme ? L’incarnation moderne de Don José, Bizet revenu sur les lieux de sa création, un jeune homme qui nous montrera l’universalité et l’intemporalité du thème de l’opéra ? On ne sait pas trop...

En tout cas, il sera réduit à l’état de marcel-caleçon par la garde montante pour finalement endosser le costume de troufion.
Les beaux costumes de Gideon Davey participeront à cette démarche d’universalité, puisqu'ils mettront en image trois époques : les robes crinolines et les hauts de forme de 1875, puis les blousons de cuir et les pantalons très montants des années 30-40 (serait-ce la guerre d’Espagne qui est évoquée ? On ne sait pas trop...), et enfin les costumes très contemporains et très colorés.

Le plateau sera nu pratiquement en permanence, à l’exception de quelques chaises ou de ballots de contrebande au moment voulu.
Pourquoi ? On ne sait pas trop...

J’ai quand même regretté des parti-pris qui m’ont semblé un peu gratuits.
Et surtout redondants, comme l’accumulation de l’intervention de rideaux de scène.

En permanence, ça monte, ça descend, ça s’ouvre, ça se ferme, ça apparaît, ça disparaît, les chanteurs s’en vont devant, derrière, (Pourquoi ? On ne sait pas trop...), comme s’il fallait que quelque chose se passe sur le plateau.
Est déclinée toute la gamme technique de ce dispositif scénique, en différentes couleurs, matières, avec ou sans ficelles (non je n’ai pas écrit le mot défendu…)
M. Homoki serait-il actionnaire des maisons Mondial tissus ou Casal diffusion ?

Le metteur en scène a travaillé également avec des effets de lumière blanche, très crue, qui donnent une impression sévère au propos et ne rendent pas forcément justice aux chanteurs éclairés par des douches qui leur donnent souvent un visage sévère, voire menaçant.

Au final, il faut absolument retenir la prestigieuse dimension musicale de cette entreprise artistique.
Louis Langrée, l’orchestre des Champs-Elysées, le chœur Accentus et les interprètes de très haut niveau nous font passer une excellente soirée. Une soirée mémorable.

Bizet peut revenir sans crainte surveiller son héritage !
Rideau !

© Photo Y.P. -

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R
J'agrée totalement à ce commentaire. <br /> Seules légères réserves concernant les voix : Escamillo que je trouve un peu "brut de décoffrage" mais il est vrai que sa puissance va avec le personnage. Et le choeur des enfants un rien faiblard. <br /> Quant à la mise en scène, elle est d'une pauvreté consternante. Si le but était de ne pas faire de l'ombre aux chanteurs et aux musiciens, le pari est amplement réussi !
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