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La fille de Madame Angot

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Il ne faut pas désespérer Renault-Billancourt !

A force de pousser à bout les ouvrières et les ouvriers de l’usine de production des fameuses 4L, Clairette Angot a pris les choses en main, et notamment les banderoles aux slogans qui font mouche, le drapeau rouge et le porte voix !

En transposant le célèbre opéra-comique de Lecoq en mai 1968, Richard Brunel nous propose un réjouissant et passionnant spectacle.
Un spectacle féministe !

Oui, le message est clair : ces deux femmes, la fille de qui vous savez et Mademoiselle Lange, ces femmes qui veulent vivre en tant que femmes, et non plus seulement épouses à qui l’on impose un mari, ces femmes ont trouvé un refuge temporel parfait.
Une jeunesse qui se révolte, des femmes qui s’insurgent : du Directoire initial, nous voici donc en pleine révolution soixante-huitarde.

L’ouverture de l’œuvre ne laisse immédiatement planer aucun doute.

En prenant à bras le corps cette œuvre créée à Bruxelles en 1872, puis à Paris l’année suivante, le Directeur général et artistique de l’Opéra national de Lyon a parfaitement su mettre en évidence l’humour, la grâce, mais également le message sociétal et politique, appelons un chat un chat, intrinsèques au livret de Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning.

Le metteur en scène était attendu au tournant : la dernière production salle Favart datait de 1969, et La fille de Madame Angot n’avait pas été donné à Paris depuis quarante ans.
L’attente se méritait, et nous ne seront pas déçus !

Nous allons passer deux heures et quart (entracte compris) épatantes.

Il faut immédiatement saluer les merveilleux scénographie et costumes de Bruno de Lavenère, ainsi que les très belles lumières de Laurent Castaingt.
Les différents actions vont se dérouler dans deux décors magnifiques montés sur une imposante tournette : l’usine, donc (qui remplace les halles prévues par les librettistes) et un cinéma de la fin des années 60.

Nous aurons donc en permanence des références au monde aliénant du travail (le film Les temps modernes n'est pas loin), ainsi que des références à la Nouvelle vague. On pensera beaucoup à Jacques Demy. (Et je vous laisse découvrir…)

La mise en scène repose sur plusieurs parti-pris très judicieux.
Tout d’abord, nous avons affaire à une verticalité très assumée, que ce soit dans les deux décors.
Ici, il faut regarder en l’air, il ne faut pas s’arrêter au sol du plateau.
Chanteurs et comédiens doivent monter et redescendre de nombreuses marches.
Une mise en scène très physique, où les corps sont mis en évidence.
Ici, les personnages ont une dimension viscérale, organique. (Des petites chorégraphies souvent spirituelles, dues à Maxime Thomas, viennent épicer le propos.)

Il se passe toujours quelque chose sur le plateau.
Outre les actions principales, enlevées, « musclées » même, souvent très fougueuses, de petites scènes de comédie jubilatoires et des petits clins d’œil (celui fait à Goscinny et Uderzo est formidable!) viennent pimenter le propos.

Il faudrait d’ailleurs voir le spectacle trois ou quatre fois pour apprécier la totalité de ces petits moments annexes.
C’est en tout cas très réussi.

Une très grande fluidité, sans jamais de temps mort, lie la sauce dramaturgique. Nous sommes parfois dans le registre du burlesque.

Tout passe décidément trop vite, !

A la baguette, Hervé Niquet réussit de façon magnifique à mettre en évidence les subtilités d’une partition à la fois « simple » et exigeante.
On ne construit pas une « usine à tubes » comme La fille de Madame Angot si l’on n’est pas un compositeur particulièrement inspiré.
J’ai été frappé par l’exigence formelle qui règne en permanence dans cette œuvre.
Cette musique est beaucoup plus sérieuse qu’il n’y paraît au premier abord. On aurait grand tort de la qualifier de « facile ».

Le chef d’orchestre tire grand parti du formidable Orchestre de chambre de Paris.
L’instrumentation « réduite » voulue par Charles Lecoq est très bien mise en valeur.
Les choristes du Concert spirituel nous proposent quant à eux une belle pâte sonore, cohérente au possible, aux articulations et nuances subtiles elles aussi.

Et puis Richard Brunel et Hervé Niquet ont pu compter sur une distribution aux petits oignons.

Hélène Guilmette et Véronique Gens sont ces deux femmes aux désirs émancipateurs.
Les deux sopranos vont nous enchanter, par leurs timbres de voix respectifs, leur talent lyrique, ainsi que leur leur qualité de jeu !
Ces deux chanteuses sont des comédiennes accomplies.
Leurs grandes scènes et leurs grands airs seront très applaudis.

Mademoiselle Guilmette chantera parfois dans le porte-voix, ce qui m’a beaucoup amusé. L’effet est très réussi, lui réussi.

Le coiffeur Pomponnet est interprété par Pierre Derhet.
Affublé d’une perruque rappelant la chevelure de Chantal Goya, le ténor est impayable dans ce rôle qu’il colore d’un humour et d’une vis comica jouissifs.
Un grand Pomponnet !

Et puis Ange Pitou, le personnage formant l’autre membre du couple symétrique, est interprété de très belle manière également par Julien Behr, qui lui sera en permanence habillé en costume Directoire.
Le chanteur nous captive dès ses premières notes.

Le reste de la distribution est à l’avenant avec notamment le baryton-basse Antoine Foulon en « chef de la police » très impliqué, et Matthieu Lécroart en Larivaudière particulièrement inspiré.

Il faut citer également le comédien Geoffrey Carey, qui campe le personnage de Trénitz en lui conférant une sorte de snobisme anglo-saxon jubilatoire, ce qui lui permet de ne pas prononcer les « r », comme les Incroyables et Merveilleuses de l’époque.

De nombreux airs seront copieusement applaudis dès leur dernière note envolée dans les cintres de la Salle Favart, et un triomphe sera réservé à toute l’équipe, lors des saluts finaux.
Tout ceci est très mérité !

Ne passez pas à côté de cette production, qui nous remet en mémoire une œuvre lyrique phare du répertoire français.

Quelle soirée formidable !
Un magnifique début de saison !

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