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Roméo et Juliette

© Photo Y.P. -

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Comment se trouver en même temps à l’Opéra-Bastille et à Garnier ?
Comment être simultanément dans les deux prestigieuses maisons, et ce, sans avoir un quelconque don d’ubiquité ?

Tout simplement en assistant à la représentation de la somptueuse et magnifique mise en scène de Thomas Jolly de cette œuvre de Charles Gounod, sur un livret de Jules Barbier Et Michel Carré, d’après bien entendu William Shakespeare.
Celui qui présida à la destinée de la compagnie La Picola Familia et au CDN d’Angers, celui-là se montre une nouvelle fois particulièrement inspiré, toujours en se confrontant avec son auteur de prédilection.

C’est en effet le grandiose escalier de l’Opéra Garnier qui nous attend sur le plateau.
Un escalier recréé quasiment grandeur nature par le scénographe Bruno de Lavenère, avec d’immenses chandeliers, et qui va conférer à cette vision jollyesque de l’opéra de Gounod une esthétique à la fois baroque et fantastique, mélangeant les points de vue artistiques et gothiques de Tim Burton et de M.C. Escher.

Cet escalier, aux balcons imposants, aux teintes sombres, est installé sur une grande tournette, ce qui permettra de démultiplier les angles de vue de cet espace scénique, tout en augmentant l’espace de jeu des chanteurs.
On retrouve un peu le parti-pris que Thomas Jolly avait utilisé pour certaines scènes de sa très réussie version de Starmania, au tout début de la saison.

Ici, nous voici plongés dans le monde de l’oxymore : l’obscure clarté va régner en permanence.
Le metteur en scène a fait sien ce procédé littéraire qui, nous dit-il, règne en maître chez Shakespeare.

Une obscure clarté, donc.
Durant la totalité du spectacle, le noir va dominer avec éclat.
Le noir de l’ambiance générale, de la trame de l’œuvre, du propos général et de la scénographie.
Ce noir sera propice aux sombres mais magnifiques tableaux, éclairés notamment aux chandeliers électriques.

Trois seules couleurs, à l’exception de deux flashes de lumière verte, trois seules couleurs nous seront proposées.
Le noir, couleur du destin tragique, le blanc, emblème de la virginité, du mariage, de la danse, aussi, et le rouge, le sang, le feu, le pouvoir.

Le metteur en scène, a son habitude, a mis en œuvre une foule de trouvailles, de parti-pris scéniques tous plus judicieux les uns que les autres.
Thomas Jolly, ou comment avoir trois brillantes idées à la seconde.

Nous retrouvons tous ce qui fait sa patte : son art consommé de mettre en évidence le mouvement, sa capacité à placer des corps dans un gigantesque espace scénique, sa propension à nous obliger à regarder partout tellement fourmillent des trouvailles de mise en scène.
Règne en permanence une impression de fluidité, d’évidence et de naturel.

Nous retrouvons ses éclairages à base de faisceaux lumineux générés par des projecteurs asservis, évoquant des élévations, à la manière des peintres du XVIIème siècle, ou les images pieuses de la fin du XIXème.

Comment ne pas remarquer également son habituelle manie de sale gosse de mélanger réalité et anachronisme. Ici, ce sont onze danseurs, qui vont interpréter à plusieurs reprises des tableaux de Waacking, cette danse élaborée dans les bars gays américains, et qui est avant tout une manière d'affirmer sa différence, son extravagance, et d'en faire une arme de revendication.
Chose assez rare, les spectateurs auront envie d’applaudir l’un de ces tableaux dansés.

On retrouve également l’habitude de Thomas Jolly d’utiliser des lettres ou des chiffres dans la scénographie.
Je vous laisse découvrir les grands R et J, présents dans l’un des tableaux, ou le grand 4 rouge à l’envers sur la porte principale du décor.
4, le nombre de duos d’amour des deux héros, 4 qui sera barré d’une croix blanche, comme pour annoncer l’inéluctable fin des deux amants tragiques.


Thomas Jolly, ou comment littéralement plonger les spectateurs au plus profond d’une œuvre, comment les faire se sentir concernés par des destins à la fois hors du commun et pourtant ô combien humains.
Comment faire jouer la catharsis à plein régime !
Et comment ici magnifier cet autre oxymore shekespearien qu’est le thème de l’amour et de la mort.

Une distribution de rêve a été réunie autour du chef Carlo Rizzi, qui va tirer le meilleur des orchestre et chœurs de la Maison.
Il a su mettre en exergue avec une réelle fougue toutes les subtilités de la partition, sans tomber dans le piège qui consiste souvent à en faire un opéra quelque peu « pompier ».
Au contraire, le chef italien magnifie toutes les subtilités de l’œuvre, avec notamment des nuances particulièrement heureuses, et des ouvertures d’actes tout à fait réjouissantes.

Les deux amants malheureux étaient interprétés, hier, alternance oblige, par Francesco Demuro et Pretty Yende.
Les deux chanteurs, à la tessiture parfaite pour leur rôle, applaudis systématiquement à la fin de leurs airs respectifs, ont su créer cette alchimie du sentiment amoureux entre leurs personnages. Même si le Roméo de Demuro ne fait pas figure de « grand transi d’amour » envers sa Juliette,
on ne peut qu’être admiratif devant son jeu intense et profond .
Miss Yende est
quant à elle parfaite dans le rôle de cette très jeune femme. (Son air de la valse est remarquable. Le trille est là !)
Les deux chanteurs sont d’excellents comédiens, et l’on ne peut qu’être subjugués par leurs différentes interprétations. Ils nous attirent dans leurs rets pour ne plus nous lâcher de la soirée.

Laurent Naouri en papa Capulet autoritaire et brutal (et paf, une gifle sonore pour sa Juliette de fille), et Jean Teitgen en Frère Laurent très paternel, les deux sont exemplaires eux aussi.
Ils sont irréprochables.
Quant à Sylvie Brunet-Grupposo, elle incarne avec une truculence réjouissante la nourrice Gertrude. Une interprétation remarquable, avec de la part de la mezzo-soprano plusieurs incursions délicieuses dans le registre des graves.

Il faut noter les débuts
très réussis à l’Opéra national de Paris de Thomas Ricart, (Benvôlio), Sergio Villegas Galvain (Pâris) et surtout Jérôme Boutillier en particulièrement à l’aise en Duc de Vérone.

Comment ne pas participer à la standing ovation qui vient saluer tous les protagonistes de cette remarquable et remarquée production de fin de saison ?

A n’en pas douter, ce Roméo et Juliette, qui fera date dans l’histoire de la mise en scène de cette œuvre, sera repris très prochainement.

Quoi qu’il en soit, Thomas Jolly confirme s’il en était encore besoin son statut de « touche à tout » en permanence inspiré qui transforme en totale réussite tout ce qu’il entreprend.

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