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Un mois à la campagne

© Photo Y.P. -

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Allez hop ! Tout l’monde à la campagne !

Avec cette délicieuse et délicate version de cette pièce de Tourgueniev, Clément Hervieu-Léger fait preuve d’une très grande et irréprochable cohérence artistique.
A la fois sur la forme et sur le fond, il poursuit son chemin dramaturgique avec les thèmes qui lui sont chers.


Une nouvelle fois, grâce à un théâtre de troupe de plus en plus rare, il explore la violence du sentiment amoureux, qu’il soit représenté par les figures géométriques de la ligne brisée ou du triangle, voire du quadrilatère, ainsi que le thème du monde de l’enfance et de la jeunesse.
L’enfance innocente ou bien celle que l’on s’apprête à quitter.

Sans oublier un penchant pour nous plonger dans les méandres de l’âme russe.


On ne peut nier que son Mois à la campagne nous emmène sur le même chemin artistique que ses précédents choix et mises en scène, que ce soit avec La cerisaie, Une des dernières soirées du carnaval ou encore L’éveil du printemps.

Bienvenue donc dans cette propriété campagnarde, symbolisée ici par une scénographie faite d’estrades, de mobilier ou de poteaux en bois.
Un espace à la fois ouvert et contraint, dans lequel, comme un symbole, on peut ranger un petit électrophone Tepaz tout en le laissant apparaître aux yeux du public...

Un espace scénique qui sied tout particulièrement au propos de Tourgueniev, qui tel un biochimiste scrutant au microscope l’intérieur d’une boîte de pétri basique dans laquelle il aurait introduit une goutte de liquide acide, nous fait assister à l’exacerbation des passions provoquée par l’arrivée dans une micro-société d’un beau jeune homme.
Aucun personnage ne sortira indemne de cette rencontre avec ce précepteur du fils de la famille.

 

C’est un euphémisme d’écrire que Clément Hervieu-Léger était plutôt attendu au tournant !
Voici quatre ans, Alain Françon avait mis en scène une version d’anthologie de la pièce.

 

Avec le même texte, avec la même excellente traduction de Michel Vinaver, le 533ème Sociétaire de la Comédie française est parvenu à nous proposer sa propre vision de la pièce, rendant tout aussi passionnant que son illustre aîné le propos de l’auteur.

 

Dans la pièce, le temps joue un rôle important, un temps à la fois structuré et informel.
Ce mois, au fond, est juste une indication. D’autant que le metteur en scène a choisi de situer l’action non pas dix années avant l’abolition du servage en Russie par le Tsar Alexandre II, mais dans les années 196O, au temps des grands films de Visconti ou De De Sica.

 

Il y aura d’ailleurs sur le plateau un aspect très cinématographique, notamment dans le traitement des très nombreuses scènes à deux personnages.

Ce sont les beaux costumes de Caroline de Vivaise (pléonasme, me direz-vous avec raison…) et leurs subtiles et presque imperceptibles évolutions qui permettent d’évaluer ce temps qui passe.
Le parti-pris est fort judicieux.
Je vous laisse découvrir.

 

Avec également un choix dramaturgique affirmé de rendre très palpable l’humour contenu dans la pièce.
Bien entendu, nous ne sommes jamais dans la gaudriole ou dans un vaudeville, mais nous rions souvent. Parce qu’au fond, les situations que décrit Tourguéniev peuvent prêter à rire.
Si la pièce a longtemps été censurée, outre le propos amoureux, c’est bien parce que l’on pouvait rire aussi de cette femme mûre prise de passion pour un jeune homme, ou encore de ce barbon voulant convoler en noces finalement assez peu justes avec une jeunette de dix-sept ans.

 

Décidément, Clément Hervieu-Léger maîtrise parfaitement cet art de remplir un plateau, même et surtout avec seulement deux personnages.

Règne en permanence un sentiment de grâce et de beauté formelles, en raison notamment de compositions scéniques très équilibrées et très picturales.

Il est parvenu à nous montrer ces nombreuses scènes de duo sans jamais tomber dans la monotonie ou la redondance, jouant avec toute la profondeur et la largeur du plateau.
Nous avons cette impression finalement assez rare que ces personnages ne pourraient se trouver ailleurs que là où ils se trouvent.

Bien évidemment, la troupe, Clément Hervieu-Léger l’avait sous la main, lui qui co-veille aux destinées de la Compagnie des Petits champs.
Grâce à ces dix comédiens, il n’y aura pas de petit rôle.

Clémence Boué est une grande Natalia Petrovna, torturée par l’arrivée du jeune précepteur. Elle nous montre de façon intense cette passion naissante puis dévorante, tout en insistant avec un humour certain sur la rouerie du personnage, notamment envers la jeune Vera Alexandrovna.
Nous sommes en permanence suspendus à ce qu’elle nous raconte et montre.

Stéphane Facco dans son rôle de sigisbée, Daniel San Pedro en médecin entremetteur, Jean-Noël Brouté en prétendant timide, Guillaume Ravoire en mari finalement assez complaisant prennent ces quatre rôles à bras le corps, leur conférant à leur accoutumée une réelle épaisseur.
On peut compter également sur ces quatre-là en matière de subtile drôlerie. Leurs ruptures, leurs changements d’intonation et de rythme sont magistraux.

Les deux jeunes Juliette Léger et Louis Berthélémy sont eux aussi plus que très convaincants. Avec beaucoup de finesse et dans une subtile progression, ils nous décrivent parfaitement le chemin de vie de ces deux personnages durant ce mois qui va fortement les éprouver.

Isabelle Gardien en mère russe et Mireille Roussel sa confidente nous amusent également et nous émouvront à la toute fin du spectacle, nous faisant bien comprendre le délitement de cette petite société.

Il restera l’innocence de cet enfant qui jouera avec son cerf-volant coloré, dans une très jolie scène.

Je ne voudrais pas terminer mon papier sans évoquer le très beau et très subtil climat sonore élaboré par le toujours aussi talentueux Jean-Luc Ristord

Vous l’aurez compris, il faut impérativement aller à l’Athénée découvrir ce brillant spectacle. Clément Hervieu-Léger est parvenu avec la grande maîtrise et la subtilité qu’on lui connaît à nous plonger et nous passionner par la tourmente amoureuse de Tourgueniev.

De la très belle ouvrage !

C’est un p’tit cordonnier, c’est un p’tit cordonnier, Qu’a eu la préférence, lon la, qu’a eu la préférence...

© Photo Y.P. -

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