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Du bonheur de donner

© Photo Y.P. -

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Il est où le bonheur ?
Dans la salle rouge du Lucernaire !

Si Bertolt Brecht nous parle du bonheur de donner, Ariane Ascaride renverse la proposition en nous en donnant, du bonheur.
Beaucoup de bonheur.

En évoquant Bertolt Brecht, on pense évidemment et avant tout à l’auteur de nombreux chefs d’œuvres que sont entre autres La résistible ascension d’Arturo Ui, La vie de Galilée, Mère courage et ses enfants ou encore Maître Puntila et son valet Matti.

C’est oublier que le dramaturge a également écrit une œuvre poétique importante, voire considérable, assez peu connue en France, à la différence de son pays.
Cette production prolifique, qui fait de Brecht l’un des principaux poètes allemands contient de plus une vraie réflexion morale, qui en fait l’un des plus grands penseurs marxistes, appelons un chat un chat !

 

Il n’a cessé d’écrire sur cette notion de bonheur, à tel point qu’il envisageait même à la toute fin de sa vie d’écrire un opéra qui se serait intitulé Les voyages du dieu Bonheur.
Mais attention : Brecht a une conception du bonheur assez anti-idéaliste, qualifiée parfois – à tort – de cynique. Il est en tout cas un matérialiste résolu, nourri par la philosophie marxiste.
Ce bonheur, ce serait avant tout une « vie bonne ».

 

Ariane Ascaride a eu l’excellente idée de nous faire découvrir ou remettre en mémoire une petite partie de ces poèmes, qu’elle a sélectionnés avec une grande cohérence, selon des thématiques qui vont couvrir l’ensemble de cette production.

Elle n’est pas seule, sur le plateau.
A ses côtés, un accordéoniste virtuose, David Venittuci, va non pas l’accompagner, ce serait fort réducteur, mais être une composante essentielle du spectacle.
Sa musique, son jeu, ses bruitages (oui, avec un accordéon, on peut générer une pulsation rythmique, imiter le vent ou encore un veau qui meugle.)

L’accordéon, le piano du pauvre, le soufflet à punaises, cet instrument longtemps resté dans une caricature prolétarienne, relégué à un rang subalterne, mais qui grâce à de musiciens de plus en plus nombreux à acquis bien d’autres facettes.
Accordéon et Brecht ? Comme une évidence…

C’est d’ailleurs lui qui ouvre le spectacle, avec une mélodie et un rythme qui ne sont pas sans rappeler une pièce musicale à la cadence caractéristique, tirée du célèbre Opéra de quat’ sous. Cohérence, encore et toujours.

Et puis la voix.
Reconnaissable entre toutes. Celle de Melle Ascaride, qui d’emblée nous capture dans ses rets pour ne plus nous lâcher qu’à la toute fin de cette heure et dix minutes.

La comédienne va nous donner une grande et magnifique leçon d’interprétation, faisant siens ces poèmes, en nous faisant savourer toute leur substance, que ce soit au niveau du fond ou de la forme.


On le sait, Ariane Ascaride est une grande diseuse, une grande raconteuse, elle va une nouvelle fois exceller à oraliser ces lignes écrites à différents moments de la vie de Brecht.

 

Elle chantera également, parce que la langue de Brecht dans ces textes-là se prête admirablement bien à la mise en musique. (Encore une fois, un coup de chapeau à David Venitucci qui signe une bien belle et originale création musicale !)
Le fantôme de Pia Colombo, qu’elle a écoutée à Marseille à l’âge de 13 ans, est lui aussi bien présent.

Mais comme il est important d’entendre, encore et toujours, sans relâche, ce message qui replace l’humain au centre de tout, avec des valeurs de tolérance, de respect de l’Autre et de sa différence, sans oublier ce concept hélas passé de mode qu’est la bonté.

Message politique, aussi, évidemment : Melle Ascaride a choisi des textes qui parlent, même rapidement, de dialectique, de lutte des classes. On saisit alors combien est larvée, de nos jours, cette lutte-là, une lutte que l’on n’ose hélas plus nommer…

La migration.
Brecht l’a connue, lui qui a dû fuir son pays pour cause de nazisme.
Il nous parle par la voix de la comédienne de la condition de ces hommes et de ces femmes qui ont dû tout abandonner, tout quitter pour se retrouver étrangers.
Bien entendu, ces mots résonnent furieusement à nos oreilles, d’autant que le soufflet de l’accordéon nous imite le bruit de la mer.
Ce passage du spectacle est véritablement poignant.

Tout comme ces textes qui évoquent des femmes, autre thème important du spectacle.
Des femmes qui souffrent, parce qu’étrangères, comme Médée, ou simplement parce qu’elle sont femmes.
La légende de cette putain prénommée Evelyne nous fascinera et nous glacera.
« Ah je vous en prie, n’entrez pas en courroux ! A toute créature, il faut l’aide de tous. », martèlera Ariane Ascaride.

Le poème de la femme infanticide lui aussi nous évoquera une autre difficulté féminine : celle de devenir mère dans de terribles conditions. Là encore, nous n’en menons pas large.

Le théâtre sera bien entendu évoqué : la comédienne nous rappelle de célèbres formules brechtiennes, dont celle qui stipule que divertissement et instruction vont de pair.

Elle nous gratifiera d’ailleurs d’une pirouette : elle rappellera ce mot de Brecht qui dit en substance que le théâtre qui ne fait pas rire est un théâtre dont on doit rire. Une citation décalée.

Un petit et très spirituel post-scriptum clôturera le spectacle. Et non, vous n’en saurez pas plus !

Il faut venir voir et écouter Ariane Ascaride et David Venittuci, dans ce spectacle nécessaire, intense et délicat. Un spectacle qui montre bien que les mots de Bertolt Brecht sont toujours et sans doute plus que jamais d’actualité.

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