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Gros

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

C'est l'histoire d'une crevette devenue bébé-cachalot.


Une fable ? Un conte ?
Non, une quasi-autobiographie.

Celle de Sylvain Levey, l'auteur de théâtre contemporain, vingt-huit textes au compteur, actuellement publiés aux Editions théâtrales.


Sylvain Levey, comédien, également, même s'il remonte pour l'occasion sur la scène, qu'il avait « physiquement » quittée depuis une quinzaine d'années.

Dirigé par Matthieu Roy, (par ailleurs co-directeur de la Maison Maria Casarés), l'auteur de Ouasmok, Comme des mouches ou encore Costa le Rouge nous propose une lecture de son dernier texte en date, Gros.

Une lecture très aboutie. On sent bien que le cahier à spirale ne demande qu'à quitter les mains de son propriétaire, et que celui-ci est pratiquement prêt à dire, jouer et non plus seulement lire.

Dans son style reconnaissable, fait de phrases courtes, percutantes, aux formules ciselées et très imagées, il va nous raconter son histoire personnelle.

Une histoire dont le personnage principal est le gras.
Le gras de la bouffe. La graisse de la malbouffe.
Le gras du beurre, du saucisson, des merguez, des chipolatas, du fromage, le gras qu'il voudrait s'injecter en intraveineuse.

Crevette, donc, ce Sylvain de bébé, prématuré de 2,980 kg à la naissance.
Une enfance de petit maigre.
« Je suis petit. Banal et petit !», affirme-t-il.

Et puis l'été des dix ans. La rencontre avec la nourriture.
La nourriture, le besoin constant de manger, et la fatale et inéluctable conséquence : la prise de poids.
L'histoire personnelle se confond alors avec une histoire quantifiée de prise de masse.

Le petit Sylvain devient alors le petit gros tout court.
Avec les vexations, les humiliations associées à la rondeur et au surpoids. A l'école, au collège, sur le terrain de foot, à la piscine, les petits gros sont dans le collimateur des autres enfants.

Ou quand la différence physique engendre moqueries et autres quolibets. Une forme de violence vécue comme telle.

Certes, il nous raconte tout ceci avec un humour souvent ravageur.
Mais derrière l'humour qui sert à cacher, à dissimuler certaines blessures, les spectateurs perçoivent bien une vraie détresse dans ce qui nous est révélé.
Certains moments sont très émouvants, l'autodérision laissant passer le désarroi devant l'impossibilité de perdre les kilos en trop.

C'est un véritable combat qui nous est décrit. Un combat perdu d'avance.

Ce spectacle est aussi d'une certaine manière une pièce politique qui établit un rapport certain entre la malbouffe et le prolétariat.
Manger de façon équilibrée coûte très cher, les pauvres n'ont pas les moyens de bien manger.
La démonstration de l'auteur est imparable.

C'est une pièce qui nous parle également d'amour.
Aimer, c'est facile, mais être aimé, c'est une autre paire de manches, nous dit en substance Sylvain Levey. Il nous le prouve.

Et puis, c'est aussi une pièce qui nous parle de théâtre.
Le théâtre qui se présente à vous par le biais d'une petite affiche lue par hasard, sur la devanture d'une entreprise de pompes funèbres .

Le théâtre qui ouvre des portes et révèle un monde insoupçonné.
Le théâtre et son écriture, qui sauvent.

Il revient maintenant à Matthieu Roy de finaliser cette lecture, pour en faire une véritable pièce.
Un parti pris est déjà trouvé, qui fonctionne parfaitement : à plusieurs reprises, Sylvain Levey se précipite comme un forcené vers un réfrigérateur ou un congélateur imaginaires. C'est drôle et on ne peut plus explicite.

Le metteur en scène pense également faire cuisiner son comédien sur scène, en lui faisant confectionner un gros gâteau pendant qu'il raconte. Au beurre, le gâteau, forcément.

Je vous conseille donc vivement d'aller assister à cette lecture d'une pièce qui interpelle chacun d'entre nous.
On est tous le gros de quelqu'un.

« Allez, hop hop hop, un petit tour dans le frigo ! »

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