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Don Carlo

Don Carlo

Je suis ton père !
Hélas pour Don Carlo l'Infant d'Espagne, ce père-là, le souverain Philippe II, ne va rien trouver de mieux à faire que de lui voler sous le nez sa fiancée, la très française Elizabeth de Valois qui deviendra son épouse.
Et ce, à Fontainebleau !


On comprend vite que la relation filiale est dans ce cas-là très problématique.
C'est d'ailleurs le seul opéra de Giuseppe Verdi dans lequel s'affrontent un père et son fils.


Don Carlo, Œdipe, même combat ?
Non, pas vraiment, puisque c'est le papa qui fait tout son possible pour tuer son fiston...


Don Carlo, Hamlet, cousins dans le malheur ?
Non, vous n'y êtes toujours pas, puisque Don Carlo n'a pas de mère...


Nous sommes vraiment dans un conflit de moins en moins larvé entre le roi et son rejeton, avec dans cette histoire nombre de pulsions. De mort, et sexuelles, les pulsions.


D'emblée, nous savons que Krzysztof Warlikowski est aux manettes.
Immédiatement nous retrouvons sur scène un petit lavabo. (L'origine du metteur en scène expliquerait-elle cet attrait pour la plomberie polonaise ? Allez savoir...)

La mise en scène est toujours très cinématographique, avec des projections vidéo représentants des défauts et des rayures d'amorce de pellicule. On a l'impression d'être parfois dans un vieux film.

Des gros plans des héros sont également projetés au lointain, à la Viridiana, ou encore comme dans Psychose, avec la figure d'Anthony Perkins occupant tout l'écran.
Le visage des personnages principaux expriment alors toute leurs douleur et souffrance.

Autre signature warlikowskienne : différents plateaux mobiles (de grosses boîtes) arrivent du jardin (une salle d'escrime), du lointain (une assemblée de dignitaires assistant au couronnement du roi, puis la prison de Don Carlo), ou encore de la cour (la salle de cinéma privée du palais de l'Escurial.)


Oui, j'ai oublié de vous dire que l'action avait été transposée du XVIème siècle aux années 1940.
En dehors de ces espaces recréés, la scène sera souvent très vide, avec souvent un seul meuble et un seul accessoire, comme le grand cheval en carton pâte du premier acte.

Ce qui a intéressé le metteur en scène, indubitablement, c'est de mettre à nu les personnages du livret.
Cette histoire familiale est terrible.
Ici, tous sont à la dérive. Pas un qui n'ait de graves soucis et d'importantes préoccupations.
Dans de somptueux costumes, certes, tous sont en proie à leurs propres démons.

Fabio Luisi a su tirer le meilleur de l'Orchestre national de Paris.
Le chef connaît bien l'œuvre, c'est évident.
La partition, qu'on qualifie parfois de « wagnérienne », en opposition aux œuvres plus connues du compositeur italien, la partition est restituée de façon ample, majestueuse.
Les musiciens interprètent magistralement toutes les nuances, pouvant passer des plus infimes pianissimi aux plus tonitruants et intenses forte !

Et puis une exceptionnelle distribution va procurer bien des frissons et des émotions aux spectateurs.


Le couple Roberto Alagna-Aleksandra Kurzak fait des merveilles, même si à deux reprises, hier, nous avons pu être légèrement étonnés par deux notes un peu « étranges » du célèbre ténor. Un peu de fatigue ?
Pour autant, il en impose, comme à son habitude. Les notes tenus en fin de ses airs sont exceptionnelles, son parlé-chanté est irréprochable. Le lyrisme intense du chanteur nous transporte.


Melle Kurzak est une Elizabeth de Valois impressionnante.
Le rôle est difficile, mais sa maîtrise et sa technique vocales sont toujours aussi impressionnantes.
Les arias de la soprano sont tout simplement merveilleux. Quels aigus, quel vibrato Quel talent !

Une autre qui va confiner au merveilleux (j'assume les trois derniers mots), c'est Anita Rachvelishvili.
La mezzo-soprano, qui fut ici même une époustouflante Carmen voici deux saisons, m'a enthousiasmé ! Elle est une grandiose Princesse Eboli.
Le public ne s'y trompe pas, qui lui réservera la plus imposante salve d'applaudissements aux saluts.


En cheftaine-escrimeuse toute en noire régnant sur un gynécée de sportives en tenues blanches, ou bien en maîtresse royale bafouée, son timbre est d'une incroyable chaleur.

Son grand air « O don fatale » met en valeur ses talents de chanteuse mais également de tragédienne.
Bravo, Mademoiselle Rachvelishvili !

J'ai beaucoup aimé également Etienne Dupuis, qui lui, fut un épatant Don Giovanni.
Ici, le baryton interprète le rôle ingrat de Rodrigue, l'ami de Don Carlo. Lui aussi sera très applaudi,
La basse René Pape est un impressionnant Philippe II d'Espagne.
Les graves sont ronds, sonores et donnent au rôle une grande ampleur.
Le chanteur confère à son personnage une vraie ambivalence, un salaud émouvant.

Tous les airs sont systématiquement applaudis, sans attendre la fin de l'œuvre.

Et puis il faut noter une nouvelle fois la magnifique homogénéité du chœur dirigé par l'excellent (c'est un pléonasme) José-Luis Basso. Quelle pâte sonore, quel ensemble, quel rendu !

Les quatre heures et trente minutes (avec deux entractes) que dure cet opéra passent à une incroyable vitesse.
Le metteur en scène, le directeur musical, les musiciens et les choristes nous transportent.


Cette reprise de Don Carlo (la création à l'Opéra-Bastille eut lieu en 2017) est une vraie et incontestable réussite.

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