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L'école des femmes

© Photo Y.P. -

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Ostie de criss de calice de tabarnak !
V’là-t’y pas qu’le p’tit chat, il est toujours pas ben vivant !

Ou quand Arnolphe est allé enfermer sa pupille du côté de Chicoutimi ou Chibougameau.

Avec son adaptation très réussie de cette première comédie à succès de Molière, celle qui le rendra célèbre, Anthony Magnier nous embarque en effet dans la Belle Province, où semblent avoir élu domicile les deux serviteurs à l’accent québecois prononcé, les gens de celui qui désormais souhaite qu’on l’appelle M. de la Souche.

Pour sa sixième confrontation avec l’œuvre du grand Jean-Baptiste, le metteur en scène est allé puiser du côté du registre de la farce burlesque pour nous proposer une version survitaminée, hilarante et rentre-dedans de cette école-là.

Oui, une farce qui va nous tirer énormément de rires et de fou-rires.
Nous attendent des passages dignes de Tex Avery ou de Chuck Jones, des moments mimés, des scènes où grimaces et mimiques vont nous ravir, des adresses au public jubilatoires.

 

Dès le 26 décembre 1662, Molière propose à son public une pièce qui mélange de façon très inédite et novatrice deux registres que nous allons retrouver pour notre plus grand plaisir : la farce, justement, et la grande comédie en vers.

Dans cette adaptation, Anthony Magnier prolonge donc les intentions de l’auteur, tout en réduisant à trois comédiens la distribution originelle.

Trois comédiens qui interpréteront avec beaucoup d’engagement et de force comique cinq des personnages originaux.
 

Dans cette mise en scène, la dimension corporelle aura beaucoup d’importance, comme à la Commedia dell’Arte
Les corps vont s’attirer, se repousser, tomber, se relever, s’empoigner, s’étreindre, se lâcher...

Il y a quelque chose de viscéral et d’organique, dans tout ceci. Pour dépoter, ça dépote !


Pour autant, nous retrouverons bien entendu les alexandrins originaux, qui seront dits de bien belle et très fluide manière, nous rappelant s’il en était encore besoin le génie de l’auteur.

Nous arrivons dans la salle noire du Lucernaire pour trouver sur le plateau une sorte de petit chalet en bois rouge, fermé par un rideau blanc.
Nous comprenons immédiatement que nous avons devant nous la « prison » d’Agnès, ce lieu d’enfermement physique et mental.

Agnès, elle apparaît derrière le rideau, innocente au possible, ignorant tout de la vie, découvrant même comment se relever plus ou moins facilement, après avoir jonglé au pied avec un ballon.
Cette première scène est très réussie et donne immédiatement le ton. Le burlesque sera roi.

Et puis le voilà, Arnolphe, seigneur de la Souche. En grand habit de voyage à pèlerine et au galon doré.

C’est Mickaël Fasulo qui interprète de façon épatante et drôlissime ce personnage aux deux facettes.
C’est cette capacité à nous montrer ces deux traits de caractère, un imbécile cocufié, « entremetteur involontaire », et un redoutable et implacable théoricien de l’asservissement féminin qui constitue à mon sens l’une des grandes réussites de cette pièce.
(Molière en effet s’est inspiré de deux textes déjà publiés, La précaution inutile, une nouvelle espagnole et Les facétieuses nuits du seigneur Satrapole, un texte italien proche justement de la commedia dell’arte, grâce auxquels il va synthétiser deux personnages pour aboutir à son Arnolphe.)

Le comédien a une sacrée vis comica.
Dans un mélange de jeu digne de cet immense acteur que fut De Funès et du Comédien français Christian Hecq, Mickaël Fasulo ne va vraiment pas ménager sa peine.
Quelle palette, quelle puissance comique, quel charisme sont les siens !
Sa démarche, ses mimiques, ses outrances, ses ruptures, ses adresses au public ravissent la salle entière.


Un grand Arnolphe de comédie !

Le double rôle féminin était interprété hier par Eva Dumont.
Son Agnès, petite figurine fragile tout droit sortie d’une boîte à musique, jeune innocente qui va s’émanciper, sa composition est particulièrement juste et réussie.

Beaucoup de grâce et de délicatesse, d’ingénuité puis d’aplomb émanent de son personnage.
Et puis sa scène dansée est également très réussie !


La comédienne est aussi une hilarante Georgette.

Matthieu Hornuss était quant à lui Horace et Alain.
Lui aussi ne donne pas sa part au chat. En blouson, casque et lunettes d’aviateur, il incarne ce jeune amoureux avec beaucoup d’engagement et d’à-propos.

Leur couple de serviteurs canadiens est particulièrement savoureux et constitue à chaque apparition un magnifique moment de comédie. Qu’est-ce qu’ils nous font rire, ces deux-là !
Un grand coup de chapeau au passage pour leur facilité et leur rapidité à changer souvent de costume derrière leur petite cabane.

Et le rideau blanc de se transformer poétiquement...

Vous aurez donc bien compris qu’il faut vous rendre au Lucernaire afin de passer une formidable heure et demie.
Cette Ecole des femmes est un brillant spectacle, malin et intelligent, aux irrésistibles parti-pris tous plus judicieux les uns que les autres.
En cette année Molière, ne passez surtout pas à côté !

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