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Entre chien et loup

© Photo Y.P. -

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Dix personnages en quête de changement.

Serait-ce maintenant, le changement, comme disait qui vous savez, avec le résultat que l’on connaît  ?

Changer…
Le verbe phare qui sous-tend tout le travail de Christiane Jatahy : comment changer, comment nous changer, comment changer une histoire et peut-être et surtout comment changer le monde dans lequel nous vivons…


C’est en tout cas ce que se proposent d’expérimenter ces gens qui nous attendent sur le plateau.
Des hommes, des femmes, sous la houlette de Tom, qui s’adresse à nous.

Il a un projet, Tom : montrer à nous autres, qui sommes devant lui, que ses camarades et lui-même vont pouvoir proposer une autre fin au film Dogville, de Lars von Trier.

Une démarche que n’aurait pas reniée Pirandello...

Au fond, avec ce nouvel opus, la dramaturge brésilienne a entrepris et réussi une méta-création, à partir de cette œuvre du septième art, que, je le confesse sans autre forme de procès, je n’ai jamais vu. (Et c’est peut-être tant mieux ainsi, pour cet exercice de critique.)

Celle qui a déjà travaillé notamment à partir de Tchékhov, Homère, Jean Renoir, Strindberg, Shakespeare, continue d’approfondir les relations entre théâtre et cinéma, et sans doute réciproquement.

Elle a transposé ici de nos jours le contexte américain des années 30 du film, en examinant la situation politique de son pays d’origine, le Brésil.

Les Brésiliens, après avoir connu une dictature militaire de trente-six ans puis une période démocratique, sont en train de rejouer la même partition, à savoir retomber dans une période fascisante, avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.

Comment tout ceci a-t-il été rendu possible, la montée des extrême-droites (suivez mon regard) malgré toute notre connaissance du passé, tout ceci est-il inéluctable ?

N’y a-t-il pas moyen de s’affranchir de ce passé afin de rendre le présent et surtout le futur acceptables ?

Changer…

Ces neuf personnes sur le plateau formant une communauté apparemment soudée, et après s’être toutes présentées, vont donc se livrer à une expérience concernant l’acceptation.
Celle d’une étrangère au groupe, en provenance du Brésil, recherchée et poursuivie par une milice locale. Elle cherche asile et protection.


Elle est déjà installée dans les travées du public. Elle, c’est Graça, interprétée par la comédienne alter-ego de Christiane Jatahy, Julia Bernat.

Le spectacle comportera trois grandes parties.

Dans la première, tous vont s’empresser de l’accueillir bras ouverts, pétris de bonnes intentions et de bons sentiments.


Pourtant, un malaise sourd règne. D’ailleurs, l’un des personnages ne lit-il pas Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, dans lequel un type ordinaire devenu un véritable bourreau nazi raconte de l’intérieur les horreurs générées par le fascisme ?

La fin de cette première partie est matérialisée par une véritable cène, tout près des spectateurs.
Un repas sacrificiel, dans lequel le sort de Graça sera scellé.

Un message arrive en effet sur un téléphone portable, révélant sa supposée implication dans un tragique événement dans le pays qu’elle a fui.

Fake news ? Un autre thème cher à Melle Jatahy résonne fortement : la frontière entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. La vérité et le mensonge.


A partir de cette pseudo-révélation, c’est la descente aux enfers. 

Adieu bons sentiments, adieu fraternité.

L’acception cède la place au rejet. L’Autre est vécu comme un étranger, une menace, un danger.

Graça devient purement et simplement une esclave de la communauté, et subit ce qu’aucune femme ne devrait subir.

L’expérience sur le changement a fait long feu…
CQFD. Hélas...


En guise d’épilogue, Graça-Christiane-Julia viendra devant nous, et nous dira de façon bouleversante, en brésilien, la situation mortifère de son pays en particulier, pour en tirer une généralité et des interrogations douloureuses.

En ce qui concerne la forme, une nouvelle fois, Christiane démontre sa virtuosité à mélanger théâtre et images filmées, restituées sur un grand écran au lointain..
Des images filmées en direct par les comédiens eux-mêmes ou préenregistrées.

Et surtout, des images montées.

Le montage a ici une énorme importance. L’un des personnages dispose d’ailleurs d’un banc de montage côté cour, avec lequel il peut mixer toutes les sources video à sa disposition.

 

Un méticuleux travail d’orfèvre a été réalisé en amont, et il est parfois difficile de se rendre compte si ce que nous voyons sur l’écran est la réalité du plateau ou si l’on regarde une séquence déjà filmée. Les premiers mélanges et mixages sont très troublants.

Mais où est la caméra, mais d’où sortent ces personnages qui ne sont pas sur le plateau ?

La frontière. Encore et toujours.

Une véritable chorégraphie est mise en œuvre pour que tous les plans et les scènes soient raccord, pour que les différents angles et rythmes soient respectés.
C’est véritablement un magnifique travail.

La petite troupe, emmenée par Julia Bernat, Philippe Duclos et Matthieu Sampeur, sera très applaudie lors des saluts.

Des applaudissements qui évidemment saluent également le beau travail de Christiane Jatahy.


Je vous conseille vivement ce spectacle qui mêle de façon épatante théâtre, cinéma et vidéo, au service d’une implacable et féroce démonstration.

© Photo Y.P. -

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