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L'avare

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

La peste soit de l’avarice, certes, mais pas de cet avaricieux-là !

Un avare en hiver.

Il neige sur Paris. Il fait froid. Un temps à ne pas mettre un radin dehors !

Un joueur d’orgue de Barbarie a pourtant bravé ce temps de chien…

Nous voici dans un logis qui dut être autrefois luxueux, mais qui, à force de ne pas être entretenu (on devine bien pourquoi…), est en piteux état : peintures défraîchies, plafond crevé laissant apercevoir les lattes du grenier, volets à claire-voie auxquels il manque des lames…

Avec une seule cheminée, à l’intérieur d’une minuscule véranda, domaine réservé au seul usage du maître des lieux.

Il me faut immédiatement saluer le magnifique décor de Jean-Pierre Laporte, qui sera mis en valeur par les très belles lumières élaborées par le metteur en scène lui-même, Daniel Benoin.

© Photo Philip Ducap - Fineartphotography

 

Cet avare, c’est Michel Boujenah, vêtu sévèrement et chichement de noir, coiffé d’une calotte assortie, aux cheveux gris filasses,aux petites lunettes rondes et à la fraise qui a connu des temps meilleurs.

Avec un accent, un débit et un volume sonores qui immanquablement nous font penser à des racines séfarades outre-méditerranée.

Oh, bien entendu, nous ne sommes pas dans « La vérité si je mens », mais cet Harpagon-là m’a évoqué, (et le parallèle est très réussi et complètement assumé) au Shylock shakespearien.

Le curseur est à son exacte position !

Cet homme sera un type acariâtre, colérique, criard, hurleur même, souvent aigri, parfois méchant.

Un homme que la passion de l’argent gardé, thésaurisé a rendu paranoïaque. Appelons un chat un chat.

Michel Boujenah parvient admirablement à nous montrer l’ambivalence de son personnage.
Certes, ce dernier est souvent repoussant, mais on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine forme de compassion et d’empathie envers cet homme qui souffre en permanence.

Beaucoup de finesse émane de son jeu et de sa vision de ce ladre.

Oui, le comédien va beaucoup crier.

Pour autant, parmi tous ces cris, il aura une scène dans laquelle il chuchotera (non, vous ne saurez pas laquelle…).
Le metteur en scène, en la faisant interpréter de la sorte, cette scène-là, nous procure un contre-pied saisissant et magnifique. Personne ne s’y attend et c’est passionnant !

Il tire également parti de façon épatante de la faconde, de l’énergie de son comédien tête d’affiche, ainsi que de tous ses irréprochables camarades.

La mise en scène est très physique, très viscérale, dans laquelle les mouvements et la gestuelle sont primordiaux.

Dans cette version du chef d’œuvre de Molière, les corps ont une grande importance.
Des corps qui ancrent dans la réalité la plus humaine ces caractères, ces personnages.

 

Des corps qui vont se battre, se frapper, se pousser, se repousser, se frotter contre la véranda pour se réchauffer, qui vont tomber, se relever, tituber.

Des corps qui vont se montrer, que nous verrons parfois sans artifice, (c’est drôle ou encore émouvant), renforçant l’ancrage évoqué ci-dessus.

On vibre en permanence avec cette petite troupe d’excellents comédiens qui parviennent tous à exister pleinement auprès de Michel Boujenah.

Une réelle cohérence, une belle cohésion règnent en permanence.

Tous confèrent à la pièce une réelle densité.
Un grand coup de chapeau particulier à Sophie Gourdin qui campe une Frosine elle aussi au verbe haut, aux ruptures étonnantes et irrésistibles, ainsi qu’à Bruno Andrieux, dans le double rôle de La flèche et du seigneur Anselme.


Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les magnifiques costumes de Nathalie Bénard-Denoin, qui a transposé l’action dans le milieu du XVIIIème siècle.

 

© Photo Philip Ducap - Fineartphotography

 

Et puis, il y aura la fin du spectacle.
Ou plus exactement les deux fins.

Daniel Benoin a particulièrement soigné le dénouement de la pièce, avec deux séquences on ne peut plus abouties.

Le théâtre dans le théâtre.

C’est par ce biais que nous seront communiquées les fameuses révélations finales qui feront que tout rentrera dans l’ordre naturel des choses.

Avec enfin la toute dernière scène, inhabituelle, jamais montrée. Une scène formidable et très belle sur le plan formel.

L’homme Harpagon devenant un archétype, une icône de l’avarice.

L’idée est épatante et fonctionne à la perfection.
(Et non, je n’irai pas plus avant…)

Voici donc une bien belle entreprise artistique.
C’est un spectacle de très belle facture, l’un de ceux auquel il serait dommage de passer à côté et qui lui aussi rend un bien bel hommage à M. Poquelin !

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