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Perte

© Photo Y.P. -

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Ruthy Scetbon, ou le corps de balai à elle toute seule.


C'est la femme de ménage du théâtre, qui pénètre à jardin, dans les gradins en hauteur de la toute nouvelle « piccola scala », le petit amphithéâtre maison.
Son outil de travail à la main, donc. Blouse bleue assortie à la déco maison, banane noire et serpillère à la ceinture. Et chignon brinquebalant...

Et puis surtout, un léger maquillage blanc et un nez rouge, qui tirerait d'ailleurs vers le bordeaux.
Une clown donc. Mais pas une clown trop traditionnelle. Comme une déclinaison assumée de l'Auguste.

Durant pratiquement une heure, Melle Scetbon sera cette clown-là.

Après avoir été ouvreuse ici-même.

C'est un peu par hasard que Frédéric Biessy, le patron des lieux, a découvert que son employée fréquentait la célèbre école de théâtre physique Jacques-Lecoq.
Après lui avoir demandé de lui montrer un extrait de son seule-en-scène, il lui propose donc en ce mois d'octobre d'inaugurer la nouvelle salle.

Et elle de se retrouver devant nous, mise en scène par Mitch Riley...
Ou plutôt nous de se retrouver... derrière elle.
En effet, une fois les gradins descendus, le personnage va s'apercevoir de notre présence.
Une présence qui va l'effrayer un peu, l'amuser, la questionner.

D'une petite voix haut perchée, avec tout d'abord des borborygmes avec des fulgurances subitement compréhensibles, elle va s'adresser à nous et nous faire prendre conscience de son job.

Dans une première demi-heure hilarante, elle va pour ce faire, étirer le mouvement, dilater le temps.
Ce qui prendrait trois minutes pour balayer le plateau, va lui en prendre à peu près trente.

Ce faisant, elle va nous proposer de formidables rapports au corps, aux gestes, aux mains, au visage.
Et puis également un rapport différent au langage.

Cette clown est celle qui ne fonctionne pas tout à fait comme nous.


Ses déplacements, ses mouvements, brusques ou ralentis, son analyse à haute voix de son boulot (la séquence de la poussière, celle sur les points A, B, A2, B2, etc, ces séquences sont épatantes...), ses gestes, ses runing-gags, sa capacité à montrer un décalage permanent entre sa réalité et la nôtre, tout ceci provoque les rires nourris du public.

Devant nous, cette technicienne de surface nous force à prendre en compte de manière très drôle les tenants et les aboutissants de son métier.

Et puis la deuxième partie va arriver. Ayant passé la serpillère mouillée, l'employée prend sa pause.

Nous allons rentrer dans le vif du sujet. La perte, à proprement parler...

La perte des identités passée du lieu, (oui, à l'époque, on pouvait trouver ici-même un cinéma porno... Enfin, c'est ce qu'on m'a dit...), la perte des objets trouvés, la perte d'une certaine innocence.


La perte de la liberté, également. Cette perte qui a abouti à une forme d'aliénation, et qui va pousser le personnage à nous faire partager sa vision de la liberté.

Durant ce « deuxième acte », la clown laisse presque uniquement la place à la comédienne.
Le propos devient plus grave, plus philosophique, presque.
La liberté... Vaste sujet.

La voix devient plus forte, le personnage va même crier.

Et puis, le corps va adopter une horizontalité voulue, à même le sol.

Elle en profite pour nous interpréter à terre une autre séquence très drôle, à savoir la prise de positions improbables, qui elle, semblent grandement la satisfaire.
Toujours ce décalage entre nos deux réalités.

C'est également dans la deuxième demi-heure du spectacle que l'on se rend compte de la relation différente aux objets. Les objets trouvés deviennent presque vivants, comme ce col de fourrure qui devient un animal mort.

Il faut également regarder les mains du personnage, qui se retrouvent elles aussi dans des positions souvent inhabituelles.

Une bien jolie séquence poétique vient clore le spectacle.

Tout comme chez les grands clowns, ce que fait Melle Scetbon a l'air simple, évident, un peu décousu.
Et pourtant, tout ceci est réglé au millimètre, tout ce qui se passe sur la scène demande un énorme travail.

Certes ce spectacle nous fait rire, beaucoup, mais il nous questionne également sur notre propre fonctionnement et nos propres perceptions du monde qui nous entoure.
C'est drôle. C'est intelligent. C'est brillant !

Retenez bien le nom de Ruthy Scetbon.

 

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