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Carmen

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

La Carmen aux pieds nus.
C'est en effet vêtue seulement d'une combinaison en nylon/dentelles noire et d'une blouse grise que la plus célèbre des cigarières sortira d'une cabine téléphonique, signifiant probablement leur rupture à un ancien amant.


La Carmen de Calixto Bieto est une femme libre, certes, mais c'est avant tout un personnage humain, presque shakespearien. Le metteur en scène castillan n'a pas voulu en faire une prostituée, une femme fatale, et encore moins un mythe.
C'est une femme de son temps, un temps qu'il a situé dans l'Espagne de la fin du Franquisme. Une femme simple, assumant ses choix et ses contradictions.
Une fille du peuple qui lutte contre tous ceux qui voudraient l'enfermer dans un moule imposé par les hommes et une société patriarcale.

Dans une Espagne encore sous le joug du fascisme, elle a fort à faire pour exister, pour vivre pleinement et intensément.
C'est une résistante, en quelque sorte.


Cette production, créée en 1999 au festival de Peralda et reprise à Paris, n'a rien perdu de la force et de la tension qui règnent en permanence durant ces trois heures. On perçoit une vraie violence dans cette vision du célèbre opéra de Bizet, Il y a de l'électricité dans l'air !


Pour autant, c'est le célèbre et ici truculent aubergiste Lillas Pastia, celui chez qui l'on danse la séguedille, qui nous accueille, sur la place d'armes de Séville.
Calixto Bieto a eu a riche idée de faire exister ce personnage sous les traits du comédien Alain Azérot.
C'est une espèce de Baron Samedi, en écho peut-être à la fameuse Habanera, originaire de Cuba et des Antilles, qui tiendra lieu de Maître du destin, annonçant clairement la couleur après avoir exécuté un tour de magie.
Il laisse échapper deux mots terribles : « La mort ! »

Nous le retrouverons ici et là. Ce sera lui notamment qui tracera les contours de l'arène finale.
Le cercle aura d'ailleurs une vraie utilité scénographique : le cercle de la piste de sable, le soldat puni qui court en rond autour de ses camarades de la Guardia civil, le cercle autour du mât servant à hisser le drapeau espagnol, celui des automobiles Mercedes-Benz 240 des gitans, passes circulaires de ce jeune homme qui se dénude lors du prélude de l'acte III pour toréer dans le vide...
Car ici, le décor est réduit à sa plus simple expression. C'est une vision épurée à l'extrême, dépourvue de tout artifice inutile.
Seul élément important au troisième acte, ce gigantesque taureau au lointain, évoquant ceux que l'on rencontre sur les routes des Monegros, vers Saragosse.

C'est la Mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili qui incarnait la Carmencita.
Elle connaît bien le rôle puisque Daniel Barenboïm l'avait découverte à la Scala de Milan et lui confia ce même rôle à l'âge de 25 ans pour l'ouverture de la saison 2009/2010.

Melle Rachvelishvili est une grande Carmen. Son timbre à la fois puissant, ample, velouté, suave fait merveille. La chanteuse procure beaucoup d'émotions, on croit totalement à son personnage farouche et pourvu d'une grande humanité.

Tout comme le Don José de Jean-François Borras. Le ténor m'a beaucoup ému, son brigadier déchu, « victime » de l'amour pour sa belle, est très touchant, très humain lui aussi.
Le chanteur excelle une nouvelle fois. C'est vraiment l'un des grands talents du moment.

La soprano australienne Nicole Car est une remarquable Micaëla, qui a recueilli énormément d'applaudissements. La chanteuse rend son personnage très touchant, voyant s'éloigner irrémédiablement son fiancé.

Ce trio principal est d'une rare cohérence. Les duos entre les trois personnages sont impressionnants. Ces trois-là m'ont fait bien des fois frissonner !

Leurs airs sont systématiquement et longuement applaudis.

La basse Roberto Tagliavini est un Escamillo brillant, qui parvient parfaitement à faire exister son personnage de rival, un personnage trop souvent cantonné dans le rôle d'utilité. Ici, ce toréador a une vraie densité.

Gabrielle Philiponet et Valentine Lemercier sont parfaites en Frasquita et Mercédès, elles aussi parvenant sans peine à donner une importante dimension scénique à leurs personnages, trop souvent bâclés.

L'on sent bien que Calixto Bieto a voulu donné corps à tous les rôles, principaux ou secondaires. Tous les caractères sont très précisément travaillés, comme ceux du Dancaïre (Boris Grappe), du Remendado (François Rougier), Zuniga (François Lis) ou Moralès (Jean-Luc Ballestra).
Les quatre chanteurs excellent eux aussi.

A la baguette, Lorenzo Viotti tire le meilleur de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris.
J'ai trouvé que le jeune et talentueux chef suisse avait choisi de ralentir quelques tempi, participant ainsi à ancrer certains personnages dans le réel, dans la lourdeur et l'inéluctabilité du drame qui se joue devant nous.

Le Chœur de la maison est toujours aussi impressionnant, dirigé une nouvelle fois par Alessandro di Stefano.

Ce fut donc une bien belle soirée que cette 545ème représentation à l'Opéra de Paris du chef d'œuvre de Bizet, créé à l'Opéra-Comique en 1875.
La vision dense, tendue, presque austère de Calixto Bieto est totalement convaincante et a une nouvelle fois été longuement applaudie.
Ca n'est pas sans raison que cette production est sans cesse reprise dans les opéras du monde entier.
Une nouvelle fois, Carmen n'a pas cédé. Libre elle est née, et libre elle est morte.

© Photo Emilie Brouchon -

© Photo Emilie Brouchon -

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