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Hélène après la chute

© Photo Y.P. -

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Ils se sont tant aimés...

Hélène, elle s’appelle Hélène.
Lui, c’est Ménélas. Le roi de Sparte.

Un amour fou, inconditionnel, passionnel. Seulement voilà…

Un certain Pâris, Troyen de son état, arrive et ne trouve rien de mieux à faire que de charmer la belle Hélène, qui s’enfuit avec lui.
La guerre de Troie aura bien lieu.

 

Dix ans de combats épiques. Pâris est mortellement blessé par la flèche de Philoctète.
C’est la chute finale de la cité d’Asie mineure.
Ménélas peut récupérer son épouse.

Simon Abkarian a eu l’excellente idée de répondre à une question très légitime, que se posent maints hellénistes distingués : comment se sont déroulées les retrouvailles de ces deux figures de la mythologie ?
Si nous avions été une petite souris, qu’aurions-nous vu, qu’aurions-nous entendu, dans ce palais aux belles dorures ?

Nous allons savoir ! Enfin !
Celui qui en 2012 avait créé le spectacle Ménélas Rebétiko Rapsodie a écrit un dialogue à la fois intense et passionnant.
En cet automne 2023, cette nouvelle pièce pourrait être considérée comme le deuxième volet d’un diptyque.

Durant pratiquement une heure et demie, nous assistons aux échanges tendus (c’est un euphémisme) entre les deux ex-amants qui se retrouvent.

Ménélas entre à cour pour se diriger vers un piano, à jardin. Il joue quelques notes avant de laisser le siège et le clavier à une musicienne. (Nous y reviendrons.)

Soudain, deux portes coulissantes au lointain s’ouvrent : La voici, Hélène, éclairée en contre, sur un fond bleu.
Elle y restera longtemps. Comme si elle ne voulait pas pénétrer dans la salle royale…
« Est-ce pour me faire souffrir que tu m’as fait revenir ? » demandera la jeune femme.

L’image est de toute beauté.
Le bleu du fond, le noir de l’ombre très sensuelle, et les dorures du palais.

Les mots entre les deux peuvent résonner. Hauts et forts…
Le ressentiment, les non-dits, les souvenirs des étreintes d’alors, la volonté de reconquête, les reproches, les tentatives d’explication…
Une joute de phrases. Une autre guerre, verbale, celle-là.
Nous sommes suspendus aux dires des deux protagonistes de ce duel, aux invectives des deux personnages légendaires aussi intransigeants l’un que l’autre.

Aurore Frémont et Brontis Jodorowski sont ces deux êtres sur le fil, ces deux personnages qui vont se jauger, se tourner autour (l’image de ce mouvement sera mis en évidence par le mouvement circulaire que deux esclaves appliqueront à un canapé, ce lieu propice aux étreintes amoureuses.)

La comédienne et le comédien vont dérouler ce grand dialogue avec beaucoup de présence, de force, de puissance.
On ne peut qu’être admiratif devant leur manière de camper ces deux êtres au destin en quelque sorte maudit.

L’écriture de Simon Abkarian est à la fois teintée d’un sentiment de vérité et d’une poésie qui cohabitent pour notre plus grand plaisir.
Je me suis à plusieurs reprises demandé s’il n’avait pas vraiment assisté par un procédé connu de lui seul à cette rencontre.

Nous autres spectateurs, nous laissons véritablement porter par cette mélopée de mots, de phrases, qui résonnent comme un flot presque ininterrompu.
Comme un torrent d’émotions et de sentiments.

C’est la pianiste, chanteuse et compositrice Macha Gharibian qui est chargée grâce à ses grands talents d’apporter la dimension musicale à ce spectacle.

Les fidèles lecteurs de ce site se souviennent que j’avais rencontré Mademoiselle Gharibian cet été, au festival de Jazz de Marciac, où elle jouait aux côtés de Sarah Lenka, lors d’un magnifique concert.

Ici, la musicienne interprète ses compositions, comme de délicates complaintes un peu tristes, aux gammes orientalisantes, des pièces d’une grande sensibilité, dotées d’une certaine mélancolie, porteuses de délicates émotions.
Parfois, elle entonne un chant qui lui aussi pourrait évoquer la fragilité, la désespérance, mais aussi ce qui est essentiel à l’humanité.

Le travail de Macha Gharibian sied parfaitement à cette entreprise artistique, nous ressentons intimement l’adéquation entre les notes, la voix et les mots.

La belle scénographie de Noëlle Ginefri et Philippe Jasko repose sur des dorures (avec notamment un plancher métallique entièrement doré), des pans du même ordre et de grands miroirs.

Il faut tirer un grand coup de chapeau à Jean-Michel Bauer pour ses très belles lumières.
Eclairer un spectacle avec autant de surfaces réfléchissantes est une vraie gageure.

Enfin, il me faut mentionner les magnifiques costumes de ce spectacle, que l’on doit également à Simon Abkarian. Je donnerais cher pour revêtir un instant la tunique de Ménélas.

Voici donc un spectacle intense, prenant, maîtrisé de bout en bout.
Il faut aller à l’Athénée assister aux retrouvailles de ces deux-là.

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