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J'ai saigné

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Une chambre d’hôpital, de ce vert improblable qu’on connaît tous…
Des murs couverts de traces de moisissure...
Un lit et une chaise en fer, des décombres, un abat-jour qui pend…

Il arrive à cour. Lentement. Avec un bras en moins.

Lui, c’est Blaise Cendrars.
Septembre 1915. Engagé volontaire à la Légion étrangère, sur le front de Champagne.
Il va y perdre son bras droit, l’amputation l’obligeant à changer de main d’écriture.
Par la force des choses, il deviendra gaucher…
Une force morale étonnante, une détermination extraordinaire.

Il va se retrouver en convalescence à l’hôpital Sainte-Croix, à Châlons et va faire la connaissance d’une femme magnifique de courage et d’abnégation, sœur Adrienne.

J’ai saigné est un court texte, écrit à la suite de ce traumatisme. Un texte qui raconte les horreurs de la guerre, celles du front bien entendu, mais également et peut-être surtout l’horreur que les « galonnards », les généraux-médecins-chefs peuvent provoquer parmi les simples troufions.
L’horreur insoutenable, jusqu’à provoquer la mort d’un petit berger landais en tentant de prouver à un auditoire la justesse d’une théorie fumeuse.

Un texte qui va également nous parler de rencontres de l’auteur avec des soldats martyrisés par la guerre, et puis de la force de la parole et de l’empathie au service de la guérison, au service de la fraternité et de la solidarité entre soldats qui souffrent.
Comme un message d’espoir, comme une preuve que l’Homme n’est pas si mauvais que ç…

Jean-Yves Ruf lit Cendras depuis son adolescence.
Il a souvent pensé à porter cet auteur sur les planches, en adaptant les célèbres Prose du Transibérien, ou Pâques à New-York.
En tombant un peu par hasard sur ce texte qui n’est pas l’œuvre la plus connue, il aa su que ce serait ce texte qu’il nous dirait.

En costume sombre, un bras dissimulé, il incarne donc le célèbre légionnaire.
Un personnage rendu donc intemporel, universel.

Mais également un homme qui pourrait revenir sur un lieu qui l’a profondément marqué,. Un pèlerinage mémoriel, pour ne rien oublier de ce qui s’est passé ici-même et de la souffrance qui y a régné.

 

Le comédien est son propre co-metteur en scène de ce spectacle, avec son complice Jean-Christophe Cochard, un autre amoureux de l’œuvre de Cendrars.

Une heure et vingt minutes, pour raconter. Pour dire les mots.

Et quelle façon de les dire, ces mots-là !
Jean-Yves Ruf revient vraiment aux fondamentaux du métier de comédien.
Dire.

Dès les premiers mots, il nous embarque dans ce récit pour ne plus nous lâcher.
La force de sa parole va nous sauter à la figure. Il sera impossible de se détacher de ce que nous allons entendre.
Les paroles, certes, mais également les silences, peut-être aussi importants.
Des silences rendus assourdissants, comme pour nous laisser respirer, comme pour nous faire mesurer de l’ampleur des multiples drames qui se sont joués et se jouent encore devant nous.

Les mots de Cendrars, certes, mais aussi ceux de Sœur Adrienne, du petit berger landais et de ce Maréchal des Logis qui va retrouver difficilement la parole grâce à l’écrivain.

Jean-Yves Ruf est remarquablement éclairé par Christian Dubet.
Il sera entouré de ses propres ombres portées sur les murs par des projecteurs rasants.
Pour la petite anecdote, Christian Dubet est le fils du dernier gardien du phare d’Ouessant.
Ces ombres successives, sur les trois murs du plateau pourraient être le résultat de l’éclairage central et circulaire d’une grosse lentille de Fresnel.

Et nous de visualiser les différents personnages, l’enfer de la guerre et la souffrance.
Dire pour montrer.
Dire pour mettre en image.

Un comédien sur une scène au service d'un grand auteur. Retour aux fondamentaux

Ce spectacle est de ceux qui marquent durablement les spectateurs. J’en veux pour preuve les lycéens qui sont sortis bouleversés de ce magnifique moment de théâtre.

Une leçon de théâtre !

Hier, c’était la dernière à Paris, aux Plateaux Sauvages.
Nul doute que ce spectacle partira en tournée, et sera repris ici ou là, et notamment à Thonon les 1er et 2 mars prochains.
Il faudra alors impérativement diriger vos pas sur les traces de Blaise Cendrars admirablement mises en voix par Jean-Yves Ruf.

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