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La photo de Papa

© Photo Y.P. -

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1936. Le 15 août. Les congés payés.
Quelque part dans les Landes. Au bord de l’Atlantique, ce sont la pleine lune et les grandes marées.


Nous allons faire la connaissance, grâce à la nouvelle pièce de Stéphane Wojtowicz (Molière de l’auteur francophone en 2006), d’une fratrie évoluant dans une époque et un territoire géographique très particuliers.

 

Nous sommes en effet tout près de l’Espagne en pleine guerre civile.


L’auteur va nous présenter trois personnages d’une très grande densité, de ceux qui marquent les esprits et les souvenirs. De ceux dont on a grand plaisir à faire connaissance et un réel intérêt à suivre leurs évolutions psychologiques.

Ces trois-là, déjà orphelins d’un père disparu lors de la première guerre mondiale, viennent de perdre leur mère. Il faut vendre la maison de famille.
Une maison dans laquelle trône la fameuse photo. Celle du Père définitivement absent.

Voici donc Marie et Madeleine deux sœurs jumelles, mais pas « issues de la même poche » ce qui explique peut-être leurs différences.


Madeleine la « sage », la réservée, la tranquille, est mariée à Jacques, un instituteur pontifiant et assez imbu de sa personne, persuadé d’avoir un savoir encyclopédique.

Un Jacques qui annonce la couleur : « Moi je ne me mêle pas de politique. Mais quand même, les communistes, faut voir. », tout en ajoutant quelques pages plus tard « Maréchal, me voilà ! »


Voici maintenant Marie l’extravertie, qui possède une voiture, qui fume, qui aime les hommes et ne s’en cache pas.

Les deux sœurs sont donc fort dissemblables. « Marie, Madeleine. Maman n’a pas fait le rapprochement. […] Qui est la sainte, qui est la putain ? », écrit Stephan Wojtowicz, qui va nous enchanter de ses formules ciselées qui font mouche.

Et puis, il y a Jules. Le cadet.
Jules, complexé par son poids et qui ne supporte pas les bains de mer. Jules le lucide, le provocateur, Jules qui détonne ! Jules qui lui s’oppose à la vente de la maison familiale.

Nous allons assister à nombre de non-dits, de faux-semblants, de rancœurs tenaces plus ou moins cachées…

Mais bientôt, l’histoire de cette famille va rencontrer de plein fouet l’Histoire avec un grand H.
Durant les neufs tableaux que compte sa pièce, Stéphane Wojtowicz, tout en faisant évoluer ses personnages, va également nous parler de la France.


Une France en pleine incertitude, une France à la fois qui se sent en danger et est tentée par le fascisme, une France qui a peur, qui se méfie de l’Autre qui ne pense pas comme vous.
Oui, la peur.
A bien des égards, cette époque nous rappelle la nôtre. Comme un miroir. Comme un avertissement.

 

Et puis deux autres personnages vont l’incarner cette Histoire européenne.


Maria, la gouvernante espagnole (pardon… basque !) et son fils Enrique, réfugié politique dont le projet est de rejoindre outre-Pyrénées les Républicains afin de combattre Franco et ses troupes.

Mais voilà, pour Enrique qui va complètement bouleverser la vie des sœurs et frère, un dilemme va bientôt survenir.

Wojtowicz nous propose donc un moment de théâtre fort subtil, fait à la fois de grandes tensions dramatiques, de moments d’une grande tendresse, de belles tirades enflammées ou au contraire tout en sensibilité. (les scènes entre Jacques et Jules sont à cet égard très émouvantes.)
L’auteur aime beaucoup ses personnages, c’est évident.

Et puis, l’humour n’est pas absent de cette entreprise : un humour qui arrive bien souvent grâce à la suffisance de l’instit, et aux saillies et de Jules. Son « Il faut l’abattre » est excellent ! (Et je n’en dis pas plus!)

On l’aura compris, cette nouvelle parution de la Librairie Théâtrale (dans la collection L’œil du Prince) est une belle réussite.
Stephan Wojtowicz signe l’une de ces entreprises littéraires et dramaturgiques qui ne laissent personne indifférent, d'autant qu'elle évoque une période politique espagnole assez peu traitée sur les scènes françaises.

Je suis impatient de découvrir ce beau texte sur les planches, lorsque les théâtres seront à nouveau accessibles.

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