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La ménagerie de verre

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

A l'ombre d'une jeune fille en verre...

Ainsi donc, je pourrai dire « j'y étais ! »

Je pourrai raconter que j'ai assisté à une leçon de théâtre !
Un magistral cours d'art dramatique donné par l'un des plus talentueux et inspirés metteurs en scène de sa génération, et par un quatuor de comédiens en état de grâce.

C'est la deuxième fois qu'Ivo Van Hove signe une mise en scène à l'Odéon, où il continue d'explorer sa vision du théâtre américain, un théâtre qu'il affectionne tout particulièrement.
Après le « Vu du pont » d'Arthur Miller, il se frotte à Tennessee Williams. Parce que le texte n'a peut-être jamais été aussi actuel.

En effet, le texte résonne furieusement avec notre monde contemporain.
Dans ces années 30, les apparences, l'idéalisation du passé, le mensonge, la réaction instantanée, le « réflexe sans réflexion », la violence facile, gratuite et décomplexée ont mené aux fascismes et puis à la guerre totale.

Ne serions nous pas en train de revivre ces années-là ?

Pour autant, de « La ménagerie de verre », de cette pièce intérieure à bien des points de vue (une pièce qui se joue pratiquement dans un huis clos oppressant, et qui explore l'intériorité des personnages), le metteur en scène parvient totalement à extirper et mettre en évidence le caractère ambivalent de cette mère et de ses enfants.

Des personnages à la fois pétris de violence et très vulnérables.
Au sein d'un monde d'une dureté implacable, ces trois-là, remplis de blessures, de doutes, de fragilités, mais aussi de non-dits et de secrets, ces trois-là vont se réfugier dans le passé ou se retirer dans leur monde.

Cette mère, ce frère et cette sœur ne cherchent qu'une seul chose, finalement : quitter leur monde.
La maman se réfugie dans un passé sudiste idéalisé, Laura la fille se calfeutre dans un monde intérieur de plus en plus lointain et inaccessible, et Tom le fils, lui, veut s'échapper de cette étouffante cellule familiale.

La fuite.

Cette vision d'Ivo Van Hove, c'est un bouleversant cri de douleur, un hurlement déchirant d'êtres qui souffrent, et ce faisant, se font souffrir.
Un cri...

Celui poussé par Isabelle Huppert, Isabelle la Magnifique, Isabelle la Formidable, Isabelle la Sidérante.
Le cri quasi inhumain, bestial, sorti des tripes, le cri qu'elle pousse lorsqu'elle comprend que son projet de trouver un « galant » à sa fille tombe à l'eau.
Un cri qui vous reste à vie, un cri inoubliable, un cri dont l'intensité et la justesse vous vrillent les oreilles et l'âme.

La comédienne est à son habitude exceptionnelle. Sa capacité à changer de registre, d'intensité, d'expression en une fraction de seconde, son jeu intense, au scalpel, l'humour acide qu'elle distille dans certaines répliques, sa faculté phénoménale d'habiter cette mère-courage pétrie de résilience qui lutte en permanence, sans concession même dans le déni, tout ceci force le respect le plus total.
Une leçon, vous dis-je !

 

© Photo Jan Versweyveld


Les trois comédiens qui l'accompagnent sur le plateau sont eux aussi excellents. Il faut l'être pour donner la réplique à une telle « monstre sacrée ».

Tom, le personnage alter-égo de Tennessee Williams, est interprété de façon irréprochable par Nahuel Perez Biscayart.
En tant que narrateur de la pièce et fils de la maison, il est lui aussi impressionnant dans sa manière de laisser planer les non-dits de son existence. Un rôle trouble et sûrement bien difficile.
On sent de façon plus qu'évidente que son Tom cache tout un pan de sa vie.

Le challenge consistant à jouer ce qu'il ne dit pas et ne fait pas est remporté haut la main.

J'ai énormément aimé la Laura de Justine Bachelet.
La jeune comédienne habille son personnage d'un subtil mélange de candeur, de force et de fragilité.
A la fois très vive ou très alanguie, parfois à la limite de la transe, telle un animal pris au piège, elle incarne parfaitement le caractère sûrement bipolaire (pour reprendre une terminologie actuelle) de Laura.

Sa longue scène avec le présumé « galant » Jim O'Connor est magnifique.
Cyril Guei et Melle Bachelet sont tous les deux d'une troublante justesse et nous émeuvent au plus haut point.

Ivo Van Hove et son scénographe Jan Versweyveld ont imaginé la maison familiale comme une espèce de souterrain troglodyte aux parois tapissées d'un tissus en velours long qui permet de laisser quantité de traces. (Notamment de visages, et je n'en dis pas plus.)
Dès le début, nous ressentons une impression étouffante, un sentiment d'enfermement inéluctable.
Impression renforcée par le rideau noir qui se baisse à de nombreuses reprises.

 

© Photo Y.P. -

Nous allons rester, grâce également aux costumes d'An D'Huys, dans un très beau camaieu d'ocres, de bruns, des couleurs qui ne sont pas sans évoquer celle de la terre.

Le brun de la terre du Sud, la terre qui retient et ne laisse pas partir facilement ceux qui s'y sont enracinés, où même la pluie ne rafraîchit pas.

La terre où il faut se débattre, lutter pour exister.
La mise en scène est en effet organique, viscérale, l'action parfois violente se déroulant souvent à même le sol.

Ne manquez surtout pas cet indispensable et incontournable spectacle !
Comme une impression de toucher au sublime.
Hier soir, huit rappels, (c'est devenu très rare), et un neuvième surprenant les comédiens en train de sortir du plateau.
Les applaudissement nourris, très sonores et en rythme, les nombreux « Bravo ! » témoignaient de l'adhésion du public envers cette totale et intense réussite, hommage magnifique à Mister Williams !

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