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Madame de la Carlière

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Une leçon de théâtre !
Voilà à quoi nous avaient conviés pour cette première Caroline Silhol et Hervé Dubourjal.


Deux silhouettes pénètrent sur la scène du Lucernaire au son des violons vivaldiens remixés par Max Richter.
Elle et Lui.
Elle en robe de soirée contemporaine, lui en costume noir très actuel, chemise à col cassé.


Ils vont nous dévoiler en enlevant les draps qui les recouvrent des costumes du XVIIIème siècle, (une redingote, un domino), des fauteuils assortis...
Ils nous font découvrir également une sorte de décor peint représentant un paysage, à la Caspar David Friedrich.


Nous pensons immédiatement à une scène de théâtre à l'intérieur du théâtre, une mise en abîme, d'autant que quelques lames de parquet figurent comme une scène sur la scène.
Devant nous, des gens de théâtre, donc, assurément.


Les deux vont nous conter une histoire, où plutôt ce qui nous est présenté comme une histoire, mais qui ne repose en fait que sur la rumeur publique, sur la perception qu'ont ces deux là des amours enflammées puis tragiques de Mme de la Carlière et du Chevalier Desroches.


Voilà bien ce qui intéresse Diderot, l'auteur de ce texte publié en 1773, et republié en 1798 sous le titre De l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières.
Ou comment une foule, une assemblée de personnes jugent sans réelle connaissance des faits, et surtout des causes qui font agir des personnages.


Hervé Dubourjal a adapté ce texte pour le transformer en pièce de théâtre.
Ses deux personnages n'ont jamais été aussi actuels. Entre fake news, magazine people, bruits de couloirs, rumeurs qui font et défont des réputations, voire des vies, ce conte est d'une brûlante actualité.


Cette adaptation est remarquable d'esprit et de subtilité.
Hervé Dubourjal nous confronte à ce qui est vrai, ce qui est faux, à la notion de vérité, et à la perception que nous en avons, de cette prétendue vérité.

Bien entendu, la mise en abîme dont je parlais un peu plus haut fonctionne à la perfection. Le théâtre est l'art de nous faire croire...


Du conte originel, il en a fait un remarquable échange entre deux personnages, tout en assurant lui-même la mise en scène.
Avec notamment un parti-pris épatant : Elle et Lui vont mêler la narration des faits (ou des supposés faits) et l'interprétation de Mme de la Carlière et du chevalier Desroches.

Le récit et le jeu des personnages-comédiens se mêlent, dans cette joute qui n'en est finalement pas une. Nous passons de l'un à l'autre des procédés littéraires sans la moindre peine. Nous ne sommes jamais perdus.

Il s'est permis quelques ajouts, que ce soient des emprunts à d'autres œuvres de Diderot, ou encore une citation-clin d'œil à Rousseau.


Elle, c'est Caroline Silhol. Lui, c'est l'adaptateur-metteur en scène en personne.
Comme ils sont fascinants, ces deux-là, à nous raconter et jouer cette « histoire » !


Deux grands comédiens, en pleine possession de leur art, nous captivent. J'étais littéralement suspendu à leurs dires et à leur jeu.
Impossible de les lâcher un seul instant, impossible de se détourner de ce qui se joue sur la scène. Ils interprètent de façon remarquable ces deux amants qui se séduisent à énoncer leur récit, et ce faisant, distillent une sorte de suspens amoureux et narratif croissants.

Ils nous captivent, et nous font rire, également.
Hervé Dubourjal a bien perçu la forme d'humour à froid qui parsème cette histoire.
Catherine Silhol nous expliquant qui d'un homme ou d'une femme ressent le plus de plaisir amoureux au moyen d'une métaphore très otologique (là encore, je vous laisse découvrir), ceci est une scène jubilatoire !

L'allusion à l'Encyclopédie est également très drôle et déclenche des rires entendus.

Je n'aurai garde d'oublier de mentionner les subtiles lumières d'Yves Angelo qui confèrent à cette entreprise artistique un très joli rendu visuel en totale adéquation avec le propos.
La scène finale étoilée (je n'en dis toujours pas plus), avec la musique me semble-t-il de Charles Ives, cette scène est très poétique.

Vous l'aurez compris, il faut vraiment aller voir ce remarquable spectacle.

Une leçon de théâtre, vous dis-je !

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