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Les sorcières de Salem

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Je mens donc je suis.

1692. Salem, Nouvelle-Angleterre.
La jeune Abigaïl entreprend de se venger. Elle s'est faite renvoyer du service d'Elisabeth, la femme de John Proctor, qui a découvert la liaison qu'elle entretien avec ce dernier.

Elle réunit quelques amies et organise une sorte de sabbat dans le bois voisin, destiné à nuire à Elisabeth.
Elle sont surprises en pleine ronde pseudo-infernale.


Cet événement va déclencher au sein de la petite ville très puritaine un déferlement de mensonges, de haine et de violence, aboutissant à un procès inique et à de multiples arrestations et condamnations à mort.


Arthur Miller s'est saisi de cette histoire-là pour dénoncer une société dont la peur et le mensonge vont engendrer une nouvelle réalité.


Bien entendu, dans ces années 1950, il dénonce en fait le Maccarthysme, « la peur rouge », qui causera bien des traumatismes à la fois moraux et physiques.


Le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota s'est donc emparé de la pièce de Miller, parce que ce monde de la peur et du mensonge résonne furieusement dans nos sociétés actuelles.

Cette société de fake-news, de tweets mensongers, de déclarations dénuées de façon éhontée de toute vérité, c'est celle d'un certain Donald Trump, pour rester dans le seul pays de l'Oncle Sam.
Mais bien entendu, les exemples de ce système de fonctionnement « politique » sont nombreux.


Emmanuel Demarcy-Mota nous propose une succession de tableaux très impressionnants.
Des images soit oniriques, fantastiques, éthérées, soit des scènes très brutes, sans fioritures.


La scène du sabbat relève de la première catégorie.
Derrière un rideau de fine tulle sur lequel est projetée une vidéo d'arbres en hiver, des arbres presque à la Tim Burton, cinq comédiennes en robe de chambre immaculée dansent, se contorsionnent.
L'effet saisit dès le départ les spectateurs.


Les scènes dans le village, les scènes du procès seront d'une tout autre facture.
Grâce à des éclairages de lumières blanches très légèrement colorées, en faisceaux très serrés matérialisés par la présence de fumée, nous sommes cette fois-ci dans une réalité implacable, sans aucune échappatoire possible.

 

Malgré quelques éléments de couleur sombre, nous sommes pratiquement devant une pièce en noir et blanc.
Un peu comme dans un film expressionniste.


Le metteur en scène s'est également appuyé sur une très solide et impeccable distribution.
Quatorze impressionnants et excellents comédiens vont jouer les protagonistes de ce drame.


Des scènes de grande tension, parfois d'une vraie sauvagerie dramatique vont s'installer, durant les deux heures que dure le spectacle.
Des affrontements, des moments de violence verbale et physique, des joutes oratoires très tendues elles aussi glacent le sang des spectateurs.


Elodie Bouchez est une Abigaïl épouvantable de méchanceté et de perversité. Elle nous propose une magnifique composition, très brutale, très en force. La comédienne fait de son rôle une formidable moment dramaturgique.

Tout comme Serge Maggiani qui incarne John Proctor, tout en humanité. Il nous rend son personnage ô combien émouvant, et suscite une vraie empathie, jouant cet homme qui refusera jusqu'au bout toute compromission.

Philippe Demarle est épatant en espèce d'exorciste blafard, mais qui réussira à faire la part des choses au bon moment. C'est un rôle tout en subtilité.

Et puis, j'ai beaucoup aimé Jauris Casanove en « grand inquisiteur ». Le comédien est glacial, intransigeant, implacable. Il fait froid dans le dos. Là encore, de la belle ouvrage.

C'est donc un moment dramaturgique d'une très grande intensité qui nous est proposé à l'Espace Cardin du Théâtre de la Ville.
La vision de Emmanuel Demarcy-Domota est une vision sombre, très sombre, noire, très noire, qui ne laisse planer aucun espoir sur le genre humain.
C'est un moment de théâtre passionnant. Il serait vraiment dommage de passer à côté !

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