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Monsieur Proust

Céline Samie et Ivan Morane - © Photo Y.P. -

Céline Samie et Ivan Morane - © Photo Y.P. -

A la recherche de la Céleste retrouvée.

Extraordinaire destin que celui de Céleste Albaret, qui fut « courrière » puis gouvernante de Marcel Proust durant les huit dernières années de sa vie, de 1914 à 1922, et qui attendit cinquante ans pour livrer ses souvenirs.

On imagine bien combien d’éditeurs essayèrent de la convaincre de raconter ces huit années, dans l’espoir d’en tirer un livre qui se vendrait comme des petites madeleines.
Ce fut le journaliste Georges Belmont qui enregistra ces souvenirs de Céleste Albaret, alors âgée de 82 ans.
Elle avait alors enfin décidé de donner sa vérité, sélectionnant avec grand soin dans sa mémoire intacte ce qu’elle pouvait révéler.

C’est le livre qui en est résulté, Monsieur Proust, qu’a eu la très bonne idée d’adapter pour le plateau Ivan Morane.
Cette adaptation, très réussie, ne se focalise pas sur la seule figure certes mythique de l’écrivain. Bien au contraire.
Ici, tout l’enjeu dramaturgique est de faire coexister deux personnages, deux figures principales bien trempées : Marcel et Céleste.
Un enjeu qui va se trouver magnifié par le fait qu’une seule comédienne sera devant nous, sur la scène de Paradis du Lucernaire.

Céline Samie, qui décidément se faisait trop rare sur les planches depuis son départ du Français, sera Céleste, mais aussi le grand Marcel, André Gide, ou encore Odilon, son mari.
Mise en scène par Ivan Morane lui-même, elle va interpréter tous les protagonistes de ces souvenirs.
Ce faisant, les deux nous donnent une véritable et magnifique leçon de théâtre.
Quatre-vingts minutes délicieuses et lumineuses, au cours desquelles, nous les aurons véritablement devant nous, tous les personnages de ces souvenirs.

La 508ème sociétaire de la Comédie Française va nous donner le meilleur exemple qui soit de cet étrange et merveilleux contrat qui lie un comédien, une comédienne au public.
Ou comment faire en sorte de devenir sans contestation aucune un ou en l’occurrence des autres, comment endosser la personnalité, le caractère de ces autres-là.
Céline Samie, magistrale, sera purement et simplement ces personnages.

Elle apparaît de dos, en robe noire sévère, les cheveux tirés et rassemblés en un petit chignon.
Sa voix monte.
Elle nous expose les tenants et les aboutissants de ces souvenirs, puis se retourne.

Pour nous autres, spectateurs, il sera impossible de se détacher de ce qu’elle va nous dire, et de la façon dont elle va nous le dire.
Vont s’enchaîner de nombreux petits instantanés, sélectionnés avec soin et une grande cohérence par Ivan Morane, tous tirés de ces huit ans de « vie quasi commune »

Au cours de ces petits moments, enchaînés non pas par des noirs-plateaux (c’eût été la solution de facilité), mais par des transitions matérialisées par des extraits de musique de chambre bien souvent de compositeurs français, Fauré, Franck, et me semble-t-il Poulenc, ou par des enchaînements immédiats, la comédienne va nous rappeler l’immense étendue de sa palette.

Tour à tour admirative devant son Monsieur Proust, soucieuse, drôle, espiègle, triste, tendre, désespérée, la Céleste de Mademoiselle Samie passe par toute une gamme majeure d’émotions.
C’est un bonheur de l’entendre rire, de la voir passer en un instant d’un personnage à un autre, sans que nous ne soyons jamais perdus.

C’est un pur régal de se retrouver grâce à elle dans la chambre de Proust, ou encore au Grand Hôtel de Cabourg.
Oui, nous y sommes vraiment, dans ces lieux chers à tous les proustiens.

La voix. Les voix.
La comédienne fait également vivre Proust et les autres grâce à sa voix. Ses voix.
Le metteur en scène et elle ont choisi de doter l’écrivain d’une voix un peu grave et traînante, précieuse et feutrée, contrastant avec le timbre clair et le débit alerte de Céleste.
En un instant, Céline Samie passe d’un timbre à l’autre. Le procédé fonctionne à la perfection.

Théâtre dans le théâtre, une scène est interprétée volontairement surjouée, « à l’ancienne ». C’est très drôle.
Nous rirons également beaucoup avec l’incarnation d’André Gide. Je vous laisse découvrir tout ceci.
Les dernières scènes seront bouleversantes. Nous, spectateurs, n'en menons pas large...

Ce spectacle est visuellement très réussi, grâce à un autre talent d’Ivan Morane.
On sait que le metteur en scène est également un grand créateur-lumière, qui sait éclairer un plateau nu (ou comportant une seule chaise, comme c’est le cas ici), avec beaucoup de subtilité et de goût.

Pour ce Monsieur Proust, ce sont les projecteurs pourvus de gélatines colorées (non aux LED !) qui matérialisent des espaces et des ambiances.
Le grand cercle bleu avec la pointe de vert à l’intérieur symbolisent la chambre et le bureau du grand homme.

Les projecteurs latéraux, les contres, sculptent souvent la silhouette et le visage de la comédienne dans une saisissante atmosphère intimiste.
Coup de chapeau au technicien maison qui gère toutes ces nombreuses ambiances lumineuses avec beaucoup de précision.

Vous l’aurez compris, il faut absolument aller applaudir Céline Samie.
Ce spectacle on ne peut plus réussi est de ceux dans lesquels une grande comédienne fait corps et voix avec des personnages attachants et inoubliables.
Cette passionnante entreprise artistique fait partie de celles qui marquent durablement les esprits.
Une leçon, vous dis-je !

Courez toutes affaires cessantes au Lucernaire !

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