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Les chaises

©Photo Y.P. -

©Photo Y.P. -

T’as d’beaux vieux, tu sais !

Je n’irai pas par quatre chemins, et annoncerai d’emblée la couleur (rouge, celles des chaises du Poche) : je ne voudrais pas être à la place du prochain metteur en scène à avoir l’idée de monter cette pièce de Ionesco, tellement le trio Stéphanie Tesson, Catherine Salviat et Jean-Paul Farré a placé la barre très haute en nous proposant cette merveilleuse version.

Oui, j’assume l’épithète ! Merveilleuse !
Une réussite totale qui nous plonge dans une folie burlesque complètement maîtrisée de bout en bout
.

Cette pièce détonne (et détone aussi) quelque peu dans l’œuvre de Ionesco.

Alors que le théâtre de l’absurde est évidemment la principale caractéristique de la dramaturgie de cet auteur majeur du XXème siècle, Les chaises se situerait plutôt dans un théâtre de l’irrationnel ou du fantastique, même.
Une pièce qui nous provoque : comment trouver un message à cette œuvre, dès lors que l’auteur fait en sorte que son personnage principal ne parvienne pas à annoncer au monde et à l’univers entiers, le sien, de message !

Œuvre métaphysique, pièce qui pointe le vide intersidéral de nos existences, pièce que la quête de l’absolu, propos sur la supposée vérité de nos consciences ?
C’est tout à la fois, et encore bien plus, ce que voudra bien y trouver en tout cas chacun des spectateurs.

Un vieux et une vieille, donc.

Près de deux-cents ans à eux deux, mariés depuis soixante-quinze ans.
Lui, maréchal des logis, a concocté durant toute son existence un message ultime à délivrer à l’humanité entière. Pas moins !


Le couple attend les invités qui vont recevoir le discours prononcé par un orateur qui ne va pas tarder à venir.
Un coup de sonnette retentit, puis d’autres. Une foule arrive qu’il faut installer.
Une dame de la haute, un colonel, des journalistes, un photograveur, etc, etc.
Même l’empereur sera présent, c’est vous dire…

Pour interpréter ces deux rôles très exigeants, il faut deux sacrés comédiens, capables de faire passer la folie, la dérision mais aussi l’humour ravageur côtoyant une forme de désespérance du texte.
Deux comédiens qui en permanence, vont nous confronter à une ambivalence des personnages : nous devons à la fois croire à l’existence du message, et à sa non-existence.

Catherine Salviat et Jean-Paul Farré sont évidemment ces deux comédiens-là !
Durant une heure et dix minutes, les deux vont nous livrer une magnifique performance.

Ce qu’ils vont nous dire et nous montrer relève purement et simplement de la leçon de théâtre.


Melle Salviat et M. Farré ne vont pas ménager leur peine.

Durant ces soixante-dix minutes, mis en scène de façon on ne peut plus énergique et organique par Stéphanie Tesson, ils vont se dépenser sans compter, insufflant une sidérante énergie à ces deux vieux.

Un signe qui ne trompe pas : ils portent aux pieds des chaussures souples d’acrobatie.

Il en faut de l’énergie pour investir comme ils le font la totalité de la salle du petit-poche, le plateau, sautant, se roulant par terre, grimpant sur l’estrade, le piano ou les chaises.


Ah ces chaises !

Dans une scène délirante, étonnante, époustouflante, ils vont créer à eux deux un véritable chaos jubilatoire, provoquant l’hilarité générale et il faut bien le dire une véritable et délicieuse stupéfaction.

Je ne peux vous en dire plus, afin de vous laisser vous aussi la surprise, mais cette scène restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Et puis l’art, le talent, le métier de ces deux grands de la scène !

Tous les apprentis-comédiens devraient venir les voir jouer !

Le ton est immédiatement donné, dès leur apparition sur le plateau : dans les beaux costumes de Corinne Rossi (je viens d’écrire un pléonasme), sur lesquels Marguerite Danguy des Deserts a peint des éléments contribuant au burlesque général, maquillés assez fortement, ils ne laissent planer que peu de doutes : nous avons devant nous des clowns plus ou moins tristes, des augustes dérisoires et pathétiques, au sens premier du terme.
Là aussi, les parti-pris fonctionnent à la perfection.

 

Catherine Salviat est cette vieille, admirative de son mari tout en lui reprochant son manque d’ambition.

Elle confère à son personnage quelque chose d’enfantin. (A bien des égards, le monde l’enfance est très présent dans ce texte.)

Ses mimiques de gamine, sa façon de dire certaines répliques avec une voix de petite fille, ses ruptures épatantes, certaines de ses gestuelles pouvant faire penser à une poupée animée, tout ceci relève d’une grande composition.

Qu’est-ce qu’elle nous fait rire, à dialoguer avec ses invités fantômes, faisant parfois les questions et les réponses !
Son « le maréchâââl » est formidable !

La sociétaire honoraire de la Comédie-Française nous ravit une nouvelle fois, nous rappelant s’il en était encore besoin qu’elle peut tout jouer, même là où l’on ne l’attendrait pas forcément.

Jean-Paul Farré laisse éclater la douce folie intérieure qui l’habite, incarnant ce maréchal des logis à la fois pédant, suffisant mais aussi fragile et parfois sombre.

Il faut l’entendre de sa voix reconnaissable entre toutes, déclamer pratiquement certaines tirades, exagérant les consonnes doubles, mettant la plus noble des emphases à pérorer, à pontifier.
C’est magnifique !
Sa façon de lancer "Sémiramis, ma crotte..." est éblouissante !

Cette fois-ci encore, le comédien démontre sa capacité rare et peut-être unique à jouer un rôle burlesque sur le fil.

Lui aussi fait fortement fonctionner nos zygomatiques !

Gloire à celui ou celle qui a eu l’idée d’associer ces deux-là !

Quant à l'orateur, qui finira par arriver, il est incarné en alternance, de façon muette (encore que... je n'en dis pas plus...) par Alejandro Guerrero ou Jade Breidi.

Courez toutes affaires cessantes au Poche-Montparnasse, ne manquez surtout pas ce spectacle incontournable de cette fin d’hiver !

Une leçon, vous dis-je !

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