Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Passagères

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Cinq feuilles de papier rose par personne et par séjour aux toilettes !
Ni plus ni moins.
Tel est le règlement ! Et l'on ne plaisante pas avec le règlement, en l'occurrence celui de ce brise-glace soviétique, à l'époque du terrible régime stalinien !

Sur ce navire réquisitionné par les forces militaires navales de l'U.R.S.S., quelques cabines sont mises à la disposition d'éventuels civils.

C'est ainsi que nous allons faire la connaissance d'Anna et de Katia. Des passagères.

Katia est une jeune femme espiègle, pleine de vie, éprise de liberté, espérant bientôt intégrer le Théâtre d'Art de Moscou.

Anna n'est pas de sa génération. Elle est plus âgée, sans plus aucune illusion sur sa vie.
Nous allons en apprendre beaucoup sur son compte. Je vous laisse découvrir.

Et puis il y aura un officier, probablement commissaire politique du bord, membre du parti. Il représente bien entendu le régime de l'autre côté du rideau de fer.


Au sein de ce huis-clos oppressant, va se jouer un terrible drame. Celui qui consiste pour un système politique de faire en sorte de broyer des vies, des existences.
De refuser toute humanité, toute liberté à des êtres vivants, au nom d'une doctrine de fer.

Daniel Besnehard a écrit cette pièce dans les années 80.
Tatiana Spivakova, née en Russie et arrivée en France sous l'ère du camarade Eltsine, nous donne sa passionnante version de ce drame.
L'envie de raconter par le biais du plateau la dureté de l'impitoyable machine soviétique et les effets sur les êtres qui en découlent.

Elle a eu la très bonne idée d'entrecouper le texte de poèmes de l'auteure russe Anna Akhmatova, obligée de brûler ses écrits pour qu'ils ne tombent pas dans les mains des censeurs.
Nous verrons d'ailleurs la scène très réussie.

Melle Spivakova poursuit son chemin artistique avec une grande rigueur, une vraie intégrité et des parti-pris à la fois très affirmés et très habiles.
Durant cette heure et demie, nous allons ressentir une véritable oppression, un terrible poids, un sentiment d'enfermement du lieu, mais également des âmes : la peur est omniprésente.


Les très belles lumières, les contre-jours, les clairs obscurs de Cristobal Castillo n'y sont pas pour rien.
Des silences assourdissants, des murmures, des musiques évoquant les bruits de la salle des machines, la scénographie à base de malles, de caisses, tout ceci contribue également à nous plonger dans la terreur.

Elle a très judicieusement ouvert la salle du Paradis du Lucernaire, pour nous en montrer des accès généralement cachés avec notamment des torons de fils électriques, des extincteurs, un escalier en colimaçon.
La coursive de ce brise-glace nous est ainsi évoquée à la fois de façon réelle et abstraite. C'est très judicieux.

Nous irons également sur le pont grâce à un changement de décor à vue réussi. Pour autant, l'oppression sera toujours présente. La nuit, la brume, le froid, nous voyons et ressentons tout ceci.

La jeune metteure en scène a su illustrer de très belle façon la progression dramatique et l'inéluctabilité du dénouement. Ici, pas de faux espoirs, pas de happy end...

Le trio de comédiens est irréprochable.

Sarah Jane Sauvegrain est Katia. Son interprétation de l'inéluctable destin de son personnage force le respect. Le glissement de l'espièglerie, de l'espoir vers le renoncement et la fatalité.
Les dernières scènes de la comédienne sont poignantes.

C'est sa maman, Catherine Gandois, qui incarne Anna.
A la création de la pièce, elle fut la première interprète de Katia.
Une histoire de transmission mère-fille, donc. C'est très émouvant.

La comédienne est impressionnante en femme brisée, résignée, qui aura certes une lueur d'espoir, mais qui elle aussi va se rappeler que tout est joué d'avance.

Le duo est remarquable et fonctionne à la perfection. On croit totalement à ce qu'elles nous racontent et nous montrent. Nous sommes pendus à leurs lèvres : ce qu'elles nous disent de la mémoire, de la confiance accordée à l'Autre est passionnant.

Vincent Bramoullé est lui aussi excellent, dans un rôle qui sera porteur d'une certaine ambiguïté.
Le comédien nous fait bien comprendre cette fragilité bien cachée.

Passagères est un spectacle très intense et d'une grande intelligence.
Les spectateurs mettent beaucoup de temps pour revenir à la réalité, une fois le noir final tombé sur la salle, avant de réserver beaucoup d'applaudissements et de rappels aux trois comédiens.

Вы действительно должны сесть на борт этой лодки !

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article