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Les élucubrations d'un homme soudain frappé par la grâce

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

On dirait qu'on serait au Théâtre Antoine.
Sur scène, y'aurait qu'à mettre un comptoir en zinc, avec des rangées de bouteilles derrière, et des tables en bois devant.


Un bistrot, quoi !
Avec déjà sur scène une espèce de régisseur et barman à la fois qui s'active devant nous...


Soudain, d'un coup d'un seul, y'aurait un type qui surgirait en trombe du fond de la salle, dans la travée centrale...
Fuyant on ne sait qui, on ne sait quoi...
Se fuyant lui-même ?


Et puis, bon, on se rendrait bien compte que c'est Edouard Baer, qui aurait déserté, abandonné le théâtre voisin où il devait jouer pour se réfugier dans le nôtre, à nous le public...

Et lui de nous dire dans un premier temps le pourquoi du titre de son spectacle...
Les élucubrations, la grâce, un homme...

Un gars qui s'interrogerait sur le courage, la lâcheté, sur les raisons de sa présence, de son existence. Des questions fondamentales, somme toutes

Avec sa voix et son débit reconnaissables entre tous.

Avec sa façon imagée qui n'appartient qu'à lui de dire les mots, avec ses formules très drôles, souvent proches d'un surréalisme totalement délibéré : « Quand vous poussez un caddy à 13h30, vous ne pouvez pas être Malraux à 20h30 ».
Le tout alors que son agent resté dans l'autre théâtre n'arrête pas de l'appeler sur un téléphone qui n'est pas branché.

Et Baer d'engager la conversation avec le régisseur/barman, incarné de façon épatante par Christophe Meynet, qui lui apprend que le décor dans lequel les deux hommes se trouvent va servir à une pièce intitulée « Dernier bar avant la fin du monde ». Peut-être une adaptation scénique du film réalisé par Edgar Wright avec les grands Simon Pegg et Nick Frost. Peut-être une évocation de ce troquet de l'avenue Victoria, dans le 1er arrondissement... Allez savoir...


Et Baer d'enchaîner très subtilement ses mésaventures loufoques, burlesques.
Nous allons énormément rire.
Ce type devant nous, c'est un cousin actuel de Vladimir, d'Estragon, attendant un  moderne Godot, s'attendant peut-être lui-même, cherchant un sens à tout ça, une échappatoire, une issue...

Et puis bientôt nous allons comprendre.
Ce spectacle est un prétexte pour le comédien-humoriste-homme de média à nous faire découvrir son panthéon personnel.

Un véritable hommage à ceux qui lui ont fait aimer les mots, les textes, les bouquins. Les mots qui font s'évader, les mots qui permettent de résister, aussi.
Nous allons comprendre comment Malraux et son discours-hommage à Jean Moulin a pu fasciner un petit garçon prénommé Edouard, comment Romain Gary avec son roman « La nuit sera calme » a pu impressionner et marquer à jamais ce môme devenu ado.

Des auteurs également qui ont su poser la question de la connaissance de soi, de la raison ou non d'être, d'exister, qui ont su interroger le libre-arbitre, les choix de vie...
Brassens, Vian, Thomas Bernhard.

Des écrivains qui ont repoussé les limites, aussi, jouant avec leur existence, les excès, les débauches...
Bukowski, notamment...

Plusieurs fois, nous entendrons le quatrième mouvement de la suite N°4 de Haendel, la fameuse sarabande d'Haendel, celle du film Barry Lindon, de Stanley Kubrick. Une autre référence...

Edouard Baer est un grand enfant, qui sous couvert d'un humour ravageur, se livre devant nous.
Son écriture est comme à l'accoutumée fine, précise, acérée, faite de situations désopilantes, avec cette sorte de faux dilettantisme, cette espèce de pseudo regard désabusé sur le monde, qui font le charme de l'homme.

Ce spectacle est unique. Une vraie originalité transpire en permanence tout au long de cette heure et demi.

Nous rions beaucoup, nous sommes également émus par cet artiste, qui derrière l'image d'humoriste, d'amuseur, de guignol public, laisse transparaître un vrai lettré doublé d'un homme d'une très grande sensibilité.

Je vous recommande plus que vivement les élucubrations-prétexte de cet homme-là. La grâce est effectivement au rendez-vous.

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