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Retour à Reims

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Faut-il être habité par son art pour créer une très cohérente et passionnante dramaturgie à partir d'un ouvrage de sociologie ne comportant évidemment aucun dialogue, ni aucune trame scénographique !
Faut-il être un Grand (je pèse ce mot, un Grand...) pour proposer deux heures de théâtre tirées de l'ouvrage écrit par Denis Eribon voici maintenant dix ans.


Dans ce spectacle dont c'est la création française, Thomas Ostermeir va analyser les rapports qui existent entre biographie, art et représentation sociale, grâce à un volet très récent de l'histoire de la politique européenne.


Il va nous poser une question d'importance, une question ayant des résonances dans la plus brûlante des actualités.


Comment se fait-il qu'une grande partie de la classe ouvrière et prolétaire qui votait traditionnellement très à gauche, comment se fait-il que cette classe contribue désormais au vote Front national et à la montée des populismes européens ?


C'est en effet l'interrogation principale du livre d'Eribon, pour qui la faute en incombe principalement aux leaders français et européens de la Gauche, s'étant rapprochés de plus en plus de la sociale-démocratie, quand ce n'est pas tout simplement un vrai glissement vers la droite.


La dramaturgie et la scénographie d'Ostermeir reposent sur un dispositif simple, mais qui fonctionne à la perfection.


Nous allons assister à l'enregistrement de la voix off d'un documentaire projeté sur grand écran au dessus de la scène de l'Espace Cardin.
Ce documentaire est consacré à Didier Eribon, qui retourne à Reims, sa ville d'enfance, et qui développe la question posée dans son ouvrage.
Le film sera projeté sur grand écran, mélangeant des images tournées à Reims et des images d'archives, avec des photos de MM Mitterrand, Schröder, Blair, Hollande, Macron...

Eribon retrouve sa mère qui l'a appelé : le père vient de mourir.
Ce père faisait partie de ce prolétariat ouvrier déçu par la Gauche, ayant succombé aux sirènes lepéniennes. Ce père, Eribon le haïssait. Ce père qui avait rejeté son fils notamment en raison de son homosexualité.


Irène Jacob est cette comédienne qui vient enregistrer dans le studio de production.
Elle est lumineuse, parlant ou chuchotant dans son micro, mais également incarnant une citoyenne engagée.
Elle n'hésitera pas à interrompre l'enregistrement, prouvant à Paul, l'auteur du documentaire, que sa vision des Gilets jaunes est erronée. (Ostermeir s'est bien entendu saisi de cette vague actuelle de révolte pour donner du corps à la thèse avancée.)


Elle est drôle, également, Melle Jacob, notamment en lançant de façon percutante des piques au documentariste.


C'est Cédric Ececkhout qui l'incarne, ce Paul. Il est souvent dans la cabine d'enregistrement à donner les tops de départ, mais il rejoint parfois Irène Jacob, pour développer une joute passionnante entre les deux comédiens, chaque personnage défendant sa thèse.


Le directeur du studio est joué par Blade McAlimbaye qui lui mettra en boucles rythmiques, en samples et en flow vocal sa propre analyse, dans un rap magnifique « le bâtard du territoire ».


Il reviendra également de façon historique dans une dernière partie elle aussi passionnante sur son grand-père qui fut tirailleur sénégalais lors de la seconde guerre mondiale.
 

Son runing-gag concernant la moquette du studio est épatante.

Ostermeir a donc écrit une nouvelle et importante page de son œuvre.
Cette page est vraiment impressionnante.


Tous les étudiants à Science-Po, tous les apprentis-journalistes devraient venir voir ce spectacle, ce qui leur éviterait probablement d'être « formatés » dans leurs écoles respectives.
 

Oui, on comprend en sortant du Théâtre de la Ville que Thomas Ostermeir est décidément l'un des plus importants dramaturge et metteur en scène contemporain.

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