Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le faiseur de théâtre

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Vous pensiez avoir déjà rencontré un théâtreux tout à la fois mégalomane, mythomane, misogyne, égoïste, misanthrope ?
Vous vous dites que des comme ça, on en connaît tous ?


Oubliez !
Oui, vous pouvez oublier toutes vos certitudes en la matière.
Des comme Bruscon, il n'y en a qu'un : Bruscon lui-même, le Comédien d'Etat, du Théâtre d'Etat, l'auteur de « La roue de l'histoire », de son propre avis la Comédie de toutes les comédies.


Thomas Bernhard, en écrivant cette pièce qui date de 1984, s'en est donné à cœur joie à nous présenter cet artiste un rien déséquilibré (qui a crié « Pléonasme ! » ?) et qui se retrouve à jouer sa pièce, avec sa famille, dans le trou du c... du monde, à savoir la petite commune imaginaire de Utzbach.


Il arrive dans une salle poussiéreuse. Il nous balance d'emblée à la figure les défauts exposés ci-dessus. Rien ne lui va, rien ne lui convient. Il râle, vitupère, apostrophe, il est odieux, engueule tous ceux qui croisent son chemin.

Il est obsédé par les lumières de secours que le capitaine local des pompiers devra impérativement faire éteindre à la fin de son spectacle.


Bien entendu, Thomas Bernhard, à son habitude, porte haut et fort ses propres récriminations et tout ce qu'il a à ressasser, posant inlassablement un regard au vitriol sur nos misérables et tragicomiques petites vies.


Durant deux heures, ce Bruscon va faire jaillir une logorrhée merveilleuse de mauvaise foi, d'animosité, de rancœur et de colère intérieure.


Pour incarner un tel personnage qui durant tout ce temps dit un texte énorme, dense, rempli de chausse-trappes et d'humour noir, avec peu de « repères temporels », il faut un exceptionnel comédien. Je pèse l'épithète et l'assume.


Andre Marcon est cet exceptionnel comédien-là.
Ce qu'il fait sur le plateau du Déjazet dépasse l'entendement. Mais comment peut-on dire un tel texte et de cette admirable façon ! Il est phénoménal !


Dans un formidable écrin, un superbe et étonnant prolongement de la salle du Déjazet, (mêmes couleurs, mêmes fauteuils, mêmes petites lampes, mêmes fines colonnes), il m'a complètement sidéré.


Bien entendu, au delà de la performance à proprement parler, André Marcon excelle à interpréter la folie de cet homme. On rit beaucoup, on est horrifiés par les monstruosités proférées (« Faire du théâtre avec une femme est une catastrophe !»).


Et puis surtout, son glissement dramaturgique durant ces cent vingt minutes est admirable. La quête de l'absolu est prétexte à une grande histoire d'amour et de haine du théâtre. La fin sera magnifique.

La mise en scène subtile de Christophe Perton prolonge donc le Déjazet, mais permet un troublant effet miroir qui abolit la frontière scénographique, et plonge les spectateurs au cœur de la folie de ce singulier homme de théâtre.
Salle et plateau peuvent s'inverser. C'est très inspiré, très malin et très beau.


Les excellents comédiens qui donnent la réplique à M. Marcon nous posent tous habilement la même question : mais comment cette famille peut elle supporter ce tyran monstrueux ?

Tous interprètent des comédiens ternes, sans talent, terrorisés par le pater-familias, le suivant bon gré mal gré dans ses délirantes tribulations.


J'ai beaucoup aimé la prestation de Jules Pelissier, qui joue le fils, acteur très médiocre, souffre-douleur du père... Lui aussi est très bon en jeune homme complètement soumis et abattu par un tel papa...

C'est une très grande leçon de théâtre qui nous est donnée. Une véritable claque !
Il faut absolument assister à ce spectacle incontournable de cet hiver.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article