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Le grand débat

(c) Photo Y.P. -

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Ce ne sont pas les quelque vingt-trois millions de spectateurs de l'allocution présidentielle du 10 décembre dernier sur les chaînes d'info plus ou moins continue qui me diront le contraire, une intervention politique à la télévision ressemble souvent à une pièce de théâtre.


Dans ce spectacle « Le grand débat », Emilie Rousset et Louise Hémon réussissent pleinement à nous proposer une démarche inverse : elles vont nous prouver que le théâtre peut re-créer cette prestation médiatique d'importance qu'est le débat d'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, et puis surtout, elles vont nous démontrer que ce moment politique et télévisé à l'apparence tellement naturelle est en réalité complètement construit.


Comme point de départ de cette démonstration, elles ont choisi ce fameux débat de 1981 opposant le président sortant, Valéry Giscard d'Estaing à François Mitterrand.


Une voix off va faire office de présentateur et va nous rappeler quelques-unes des "21 conditions épouvantables" dues à Robert Badinter et Serge Moati, devant dissuader de l'organisation d'un tel débat.
Il n'en fut rien. Cette toute première et terrible « grammaire » fut acceptée. (Pas de plans de coupe, température du studio à 21 degrés, table de 3 mètres de long, etc, etc...)


Melles Rousset et Hémon vont aller plus bien plus loin que ce moment historique.
Elles vont entremêler tous les débats télévisés d'entre-deux-tours de la Vème République, justement pour en disséquer les règles de fabrication.
Elles interrogent ainsi ces mises en scènes télévisées qui n'ont de cesse de vouloir faire oublier que ces images obéissent à des conditions drastiques et implacables de conception et de réalisation.


Bien entendu, pour nous autres spectateurs s'installe rapidement un petit jeu : il s'agit de reconnaître quel candidat(e) s'exprime et parle principalement de la Nation française.

Nous allons être également être amenés à constater l'évolution de l'élocution des candidats, de leur manière de prononcer les mots de la politique, de la façon de placer les silences ou de couper la parole de l'adversaire.


Deux comédiens brillants vont incarner tous ces prétendants.
Emmanuelle Lafon et Laurent Poitrenaux seront tout à tour des hommes, des femmes, des conservateurs, des socialistes, François, Nicolas, Ségolène, Emmanuel, Marine, Valéry, Jacques...
Ils disent les mots, ils prennent les postures des candidats, et surtout, ils sont filmés par deux cadreurs, Marine Atlan et Mathieu Gaudet, produisant des images et des gros plans sur un grand écran au-dessus d'eux.


C'est une sacrée gageure que les deux réussissent haut la main : tous leurs textes ont été prononcés. Ils sont obligés de les dire en respectant les intonations, les effets de voix... (« Mais vous avez tout fait raison, Monsieur le Premier Ministre »...)


Et ce, jusqu'à un certain moment...

Ils vont alors nous faire bien rire !
En effet, les deux metteures en scène vont entamer une progression diabolique de dynamitage des codes précédemment exposés.
Tout d'abord, il y aura le rappel d'un non-débat. (Oui, M. Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen.)


Et puis, nous allons constater que tout va voler en éclat : les cadrages, les placements-caméra, les positions des candidats, les éclairages. Nous verrons également les fameux plans de coupe.
Il y aura même l'aboutissement de la destruction de cette grammaire télévisée, nous menant au summum de la communication en matière de débat télévisé.
Je n'en dirai évidemment pas plus pour vous laisser découvrir par vous-mêmes cette démonstration par l'absurde.

C'est bien simple, ce moment de théâtre est passionnant.
C'est un spectacle qui procure une sorte de jouissance un peu perverse, un peu masochiste aussi, à constater combien ces images que nous avons regardées, ou que nous regardons encore, et que nous avons peut-être crues « innocentes » relèvent d'un processus de communication complètement fabriqué.

 

La démonstration est brillante et imparable.
Ne manquez pas ce grand débat !

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