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Abeilles

(c) Photo Y.P. -

(c) Photo Y.P. -

On ne prête qu'aux ruches, c'est bien connu...
La ruche.
Symbole de la famille, composée d'entités vivantes soudées qui travaillent, travaillent encore, travaillent toujours. Soudées et solidaires.
Cette ruche-là, elle se trouve à mi-falaise.


Le père, voici une vingtaine d'années, venant tout juste d'émigrer et arrivant en France sans le sou, prenait tous les risques pour aller chercher les kilos de miel de cette ruche suspendue entre ciel et mer, un miel rare au goût de sel et d'iode.

En le vendant très cher, c'était son seul moyen de subsister.


C'est en tout cas ce qu'il raconte à son fils, de nos jours, sur cette même falaise.
Un fils technicien hautement spécialisé fixant des pales d'éoliennes, qui lui gagne beaucoup plus que son père. Lui est né dans ce pays.


Les deux se comprennent de moins en moins, et s'éloignent de plus en plus l'un de l'autre.
Ils finiront même par se battre.


De retour chez lui, ce père ne trouve guère de réconfort. Son fils a offert à sa petite soeur, une jeune fille de quinze ans, un téléphone portable dernier cri qui lui-même ne peut pas lui offrir pour son anniversaire.

Gilles Granouillet poursuit avec un souci du détail quasi sociologique sa dissection des failles familiales.

On se souvient de cette femme, « la mère du Burt », dans une précédente pièce, Zoom, une femme paumée qui n'avait pas les codes pour élever son fils comme la société aurait souhaité qu'elle l'élevât.

 

Ici, Granouillet explore les non-dits, les pas-assez-dits, les trop-dits familiaux, il dissèque les failles générationnelles, originelles et « technologiques » de ces quatre êtres humains formant cette famille.

Les deux parents, immigrés, ont été obligés de s'intégrer dans ce pays étranger en travaillant dur, vivant encore et toujours dans le même petit appartement. Ils voudraient même en changer pour un encore plus petit...

Ils ont deux enfants, qui eux sont nés dans en France, et qui maîtrisent les nouvelles technologies de l'information, surfant sur Internet, ayant des comptes Facebook, Instagram, etc, etc.
Deux enfants qui ne souffrent pas comme ont souffert leurs parents à leur âge.

Tout montre les déséquilibres générationnels, les incompréhensions mutuelles, le manque d'efforts de part et d'autre pour combler le fossé.
Le vide. Le vide devant la falaise, le vide qui emplit cet appartement.

Un quatuor d'excellents comédiens, mis en scène par Magali Léris, va incarner ces personnages ayant tellement de difficultés à trouver leur place.

Eric Petitjean est ce père, glacial, fier, écorché vif, ne supportant aucune remontrance, prêt à auxune concession.
Le comédien est impressionnant en homme blessé, souffrant de sa condition d'infériorité vis à vis de son fils.
On croit vraiment à son personnage de déraciné, cherchant encore et toujours sa place.

Nanou Garcia interprète le rôle de la mère. Elle est totalement convaincante en femme qui se trouve prise entre deux feux, son mari et ses enfants. Elle est cette interface qui tente d'arrondir les angles, ne comprenant plus son mari, dépassée par ses enfants.
Un rôle tout en subtilité.

Les enfants sont interprétés par Carole Maurice et Paul-Frédéric Manolis.
Les deux jeunes comédiens sont eux aussi tout à fait justes et nous font pleinement croire à cette nouvelle génération qui doit affronter le poids du passé familial et les normes du monde dans lequel elle vit.

J'aime le théâtre de Gilles Granouillet, qui analyse finement et ausculte sans concession le monde dans lequel il vit.
C'est une pièce (une création) intense et passionnante, qui nous dit la difficulté de trouver sa place et qui traite de la douleur de la remise en question au sein d'une cellule familiale.

Oui, le vide de l'incompréhension peut entraîner le déséquilibre et la chute. Comme au bord d'une falaise.

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