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Le triomphe de l'amour

(c) Photo Y.P. -

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L'amour est-il soluble dans une marmite de Phocion magique ?
Ce virus-Phocion-là contaminera-t-il la micro-société que s'est construit le philosophe Hermocrate ?
Le jardin-eden de ce (trop) sage bonhomme retiré du monde sera-t-il profané par cette pomme d'amour écarlate ?


C'est en effet dans ce lieu unique que Marivaux va nous démontrer de manière éclatante et triomphale la puissance de l'Amour.

 

Le noble seigneur Phocion est en réalité la princesse Léonide, qui n'a de cesse de retrouver pour le séduire le beau Prince Agis caché tout petit par bien des intrigues politiques chez le philosophe Hermocrate, vivant avec sa sœur Léontine.


Ces trois-là sont aussi vierges de toute passion amoureuse l'un que l'autre, que cette passion soit chaste ou charnelle.

L'Amour ? Connaît pas !


Telle le serpent-tentateur, Phocion va séduire tout ce beau petit monde, usant de charme et de sensualité, le tout teinté d'une certaine dose de rouerie plus ou moins perfide.
Mais que l'on se rassure, la cause est juste !


Denis Podalydès a donc choisi de monter cette comédie assez peu représentée dans laquelle, une fois de plus, Marivaux dissèque le sentiment amoureux en général et le mécanisme de la séduction et de la tentation en particulier.
On parle d'amour, mais il faut être clair, le désir et le sexe sont bel et bien omniprésents.


Unité de lieu, donc : un jardin sauvage, peut-être dans le marais poitevin, ou dans les Dombes.

La scénographie d'Eric Ruf rappelle celle du Petit Maître corrigé, au Français : même plateau recouvert d'herbes folles.
Une cabane sur une tournette tient lieu d'habitation.


Le metteur en scène, de façon très intéressante et pertinente, avec une réelle virtuosité, va s'attacher à ouvrir cet espace clos, entouré d'une eau virtuelle.
Les comédiens vont s'y déplacer sur des barques-planches à roulettes, mues par une grande perche.
Ils vont virevolter autour, dans et sous la cabane, ils utiliseront également les portes latérales situées de chaque côté du plateau des Bouffes du Nord.


Mais surtout, Podalydes va jouer sur la distance qui sépare les comédiens qui dialoguent.
Bien souvent, les acteurs s'adressent l'un à l'autre en étant très éloignés, ou très rapprochés, en fonction des intentions de leur personnage.

L'effet sera accentué par le fort niveau sonore des voix éloignées.


Il y a là une vraie science du placement des comédiens, du positionnement des corps dans l'espace.
Des corps que s'attirent, se repoussent, se font tomber, se battent, s'étreignent, se tournent autour, s'enlacent, s'embrassent...

L'amour, c'est le corps, aussi. (Surtout ? )

 

Le Sociétaire de la Comédie Française nous enchante également avec une distribution haut de gamme.
C'est un bonheur de voir évoluer ces huit comédiens en état de grâce, très visiblement beaucoup investis.


Leslie Menu excelle dans le rôle de Phocion. Elle joue cette jeune femme déguisée en homme avec un naturel et un charme fous.
Elle illumine le plateau qu'elle ne quittera que très rarement. (Son rôle est très exigeant.)

Melle Menu est parfaite dans cette ambivalence de sincérité et de tromperie. Son personnage réussit à en séduire trois autres, tout de même !
Ses regards en biais, de travers, ses coups d'oeil rapides contredisant ses propos sont jouissifs !


L'autre grande composition est celle de Philippe Duclos en philosophe Hermocrate.
D'ermite sauvage, rustre, sauvage, il va passer à l'interprétation du délice amoureux avec des moments sublimes où il rougit, minaude, tel un jeune puceau en voie de concrétiser.

C'est du grand art, j'étais totalement admiratif.


Stéphane Excoffier est Léontine, la sœur. La comédienne nous fait beaucoup rire, avec ses petits cris outrés, ses « non » qui disent « oui », et réciproquement.


Il me faut mentionner également le duo Jean-Noël Brouté (Arlequin) et Dominique Parent (le paysan Dimas) : ces deux-là déclenchent les fou-rires des spectateurs, avec leurs personnages hilarants.


Et puis que dire des costumes de Christian Lacroix qui sont somptueux (oui, je sais, c'est un pléonasme...)
Je donnerais cher pour endosser ne serait-ce qu'un petit moment la robe de chambre ou bien l'habit final en camaïeu de rouges du philosophe...

C'est donc un magnifique spectacle, tout en délicatesse, grâce et intelligence que nous propose Denis Podalydès.
Un moment de théâtre incontournable de cette fin de saison.
Dépêchez-vous, ruez-vous aux Bouffes du Nord !
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

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