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Désobéir - Le monde était dans cet ordre-là quand nous l'avons trouvé

(c) Photo Y.P. -

(c) Photo Y.P. -

Juridiquement parlant, le délit de solidarité n'existe pas.
Ce délit « fantôme » fait néanmoins référence à l'article L622-1 du Code de l'entrée, du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui date de 1945.


« Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France » encourt jusqu'à cinq ans de prison et 30.000 euros d'amende.


C'est ce que risquait fin 2015-début 2016 Rob Lawrie, un citoyen britannique qui a tenté de sauver Bahr, une petite fille de quatre ans, de la jungle de Calais.
Nous sommes donc en plein dans ce délit de solidarité, comme l'ont pensé les quelque 170.000 signataires des deux pétitions soutenant cet homme.
Un homme qui a désobéi.


C'est par le procès de ce « désobéisseur » que commence la pièce.
Une reconstitution froide et sidérante.
Trois comédiens, absolument remarquables !
Katell Daunis, dans le rôle de la Présidente, Pearl Manifold, dans celui de l'avocate de Lawrie, les deux sont tellement justes et crédibles que ça en devient troublant. Nous sommes véritablement dans le prétoire !
Jean-Baptiste Verquin est le prévenu.
Le délibéré va tomber : requalification pénale, c'est le Code de la route qui servira à condamner cet homme, pour avoir mis en danger la vie de la petite fille !


La metteure en scène Anne Monfort a ensuite adapté, grâce à une écriture de plateau, les textes de Mathieu Riboulet, qui depuis de nombreuses années s'interroge sur la désobéissance civile.
Tout comme dans les années 70, pour l'une comme pour l'autre, nous sommes « dans une époque bloquée où le monde vacille ».

 

Côté cour, l'amas de bouts de tissus sur des caisses symbolisant la jungle de Calais et le chaos du monde prendra, au fur et à mesure du spectacle, la forme d'éléments de bois joliment agencés et de plexiglas éclairés du dessous.
Une société où l'apparence compte plus que le fond ?
C'est en en tout cas une bien jolie trouvaille scénographique de Clémence Kazemi.


La mise en scène d'Anne Monfort est efficace et va à l'essentiel.
La direction d'acteurs est précise, sans effets, sobre, voire austère, mais complètement au service du texte et du propos.
L'adaptation du texte «Entre les deux, il n'y a rien » va être ainsi portée par les trois voix.
Et de quelle façon !


Le texte est ardu, dense. Un texte on ne peut plus d'actualité !
Pourquoi désobéir ? Comment désobéir ?
Quels sont les moteurs et les origines de la désobéissance ?
Pourquoi établir un parallèle entre la désobéissance et le sexe ?
Faut-il désobéir, résister, ou se retirer d'un monde qui ne nous convient pas ou plus ?
Pourquoi la société bien pensante considère-t-elle qu'entre le délinquant le terroriste, il n'y a rien ?
Autant de questions (la liste n'est pas exhaustive) qui seront abordées.
Là encore Melles Daunis, Manifold et M. Verquin sont formidables.
Il est impossible de les lâcher pendant leurs parfois longs monologues. Leur interprétation de ces personnages en proie au doute, au refus de ce qu'ils ne peuvent plus supporter, à la transgression, à la désobéissance, cette interprétation-là est en totale adéquation avec les propos de l'auteur.

 

On l'aura compris, il s'agit d'un spectacle qui non seulement interroge le monde dans lequel nous vivons, mais nous pose personnellement des questions fondamentales.
Que sommes-nous prêts à accepter ?
A partir de quel moment sommes-nous enclins à désobéir ?

Le théâtre d'Anne Monfort est un théâtre qui interpelle, un théâtre militant, au sens noble du terme.
C'est un théâtre qui ne peut laisser personne indifférent.
C'est un théâtre qui oblige chacun à se positionner.
C'est un théâtre que j'aime.

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