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Le radeau de la méduse

(c) Photo Y.P. -

(c) Photo Y.P. -

Les lumières des ateliers Berthier s'éteignent.
Le grand rideau noir s'anime, faseye, grande voile noire sous le vent.
La mer. Sombre, hostile, dévoreuse.
Une voix d'enfant.


Soudain, l'explosion. Les infrabasses, le ventre des spectateurs qui vibre.
Le naufrage. Une voix off nous décrit la catastrophe.


Et le torchon finit par se lever.
La brume a envahi le plateau. Elle va se lever pour que nous puissions découvrir un canot de sauvetage.
Dans cette barcasse, douze enfants, garçons et filles.
Bientôt, un treizième surgira, le benjamin, le « petit renard », eu égard à sa tignasse rousse et son pull rouge, tranchant sur le gris omniprésent des autres costumes.
Ces enfants vont vivre sept jours éprouvants.
Survivre. Ou pas. Et dans quelles conditions.

 

Bien des questions vont nous être posées.

Ce concentré de jeune humanité pourra-t-il en remontrer aux adultes ?
Ces jeunes, la sauveront-ils, cette humanité ? Eux qui sont des adultes en devenir seront-ils meilleurs que leurs aînés ? Faut-il espérer ?
Tous ces jeunes éduqués dans la foi chrétienne auront-ils la même approche de leur religion, la même interprétation des textes et du dogme ?
Ce canot rempli de jeunes à la dérive ne pourrait-il pas rappeler ceux que l'on voit à longueur de JT ? Des humains à la dérive...
Des questions qui évoquent bien entendu l'actualité brûlante, des questions qui nous interpellent...


Depuis 2004, Thomas Jolly est habité par cette pièce (écrite en 1943) , lorsqu'il était étudiant à l'école supérieur d'art dramatique du Théâtre national de Bretagne.
Aussi, lorsque Stanislas Nordey lui a proposé de diriger l'atelier de sortie du Groupe 42, constitué d'élèves du Théâtre national de Strasbourg, il n'a pas hésité un seul instant.

Ce serait en quelque sorte treize jeunes et un bateau.


Ici, nous sommes durant une heure quarante cinq minutes dans un huis clos : unité de lieu, quand tu nous tiens...
Le canot de sauvetage est en quasi-permanente rotation autour d'un axe central. L'effet est saisissant. Il tourne dans un sens, dans l'autre, plus ou moins vite, et les comédiens sont obligés de composer avec cet effet.


Thomas Jolly a réussi une vraie gageure : comme diriger diriger treize acteurs dans un espace aussi réduit et qui plus est en mouvement ?
Ici, et c'est l'une des forces du spectacle, il parvient à créer de très beaux et très amples mouvements, individuels ou de groupes. C'est là une vraie chorégraphie, un modèle de précision.


Visuellement, le spectacle est très beau.
Beaucoup de fumée, peu d'intensité lumineuse. C'est sombre. On peine à distinguer les visages. Nous sommes dans l'incertitude en permanence. Il faut bien ouvrir les yeux et les oreilles.


Sept tableaux, un par jour, nous seront proposés, annoncés avec l'une des marques de fabrique du jeune metteur en scène : sa désormais célèbre police de caractère en bâtons, sur des cartons qui montent et descendent des cintres.


Autre marque de fabrique : l'éclairage est très soigné, et tient une place capitale.
Beaucoup de contres, de faisceaux latéraux, de clair-obscurs. Coup de chapeau à Laurence Magnée.
Le final est saisissant, avec l'hydravion salvateur qui amerrit dans une grande intensité lumineuse, avec de grands rayons lumineux, autre « obsession » de M. Jolly.


Et puis, il y a bien entendu les jeunes comédiens.
Ces treize-là sont épatants et vraiment crédibles. On croit parfaitement à leur histoire, à leurs histoires. Aucun complexe à avoir : la formation au TNS les a rendus très affûtés. Ils sont prêts.
Une vraie cohésion se dégage du groupe, on sent l'envie d'être ensemble, on sent l'esprit de troupe.
Les deux rôles principaux interprétés par Emma Liégeois et Rémi Fortin sont on ne peut plus convaincants.
De plus, tous chantent à la perfection des sortes de cantiques polyphoniques du meilleur effet.


On l'aura compris, Thomas Jolly persiste et signe. Il poursuit son travail en nous proposant une nouvelle fois son univers si particulier, tellement identifiable, (il y a vraiment une patte Jolly), toujours au service d'un auteur.
De par le sujet, sa mise en scène est ici plus sobre, moins baroque que dans ses productions précédentes. Pour autant cette sobriété nous démontre s'il en était encore besoin l'étendue de sa palette.
Nous avons vraiment la chance d'avoir un jeune et grand metteur en scène, inventif, inspiré, et qui va là où on ne l'attend pas.

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