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Boat people

© Photo Y.P.

© Photo Y.P.

Boat de sept lieues ?
Non, c’est un voyage beaucoup plus long auquel sont contraints tous ces émigrés du sud-est asiatique, et ce, dès 1975.

Dans un intense spectacle maîtrisé de bout en bout, Marine Bachelot Nguyen nous propose de nous plonger (ou replonger) dans ce phénomène migratoire que connurent les années 1975 et suivantes.
Désirant fuir les camps de rééducation et les lavages de cerveaux que les gouvernements communistes laotiens, vietnamiens et cambodgiens entendaient bien leur faire subir, quantité de familles, d’hommes et de femmes choisirent l’exil volontaire, en embarquant dans des rafiots de fortune, au péril de leur vie.

Ce faisant, Mademoiselle Bachelot Nguyen nous propose une nécessaire réflexion quant au phénomène de la migration.
Bien entendu, le sujet est on ne peut plus d’actualité, et le propos va furieusement résonner en nous.

Son théâtre sera à la fois humain, sociologique et politique. De vraies questions seront soulevées, des problématiques universelles, bouleversantes, révoltantes nous sauteront à la figure.

La migration humaine.
Etre forcé de quitter son pays, pour de multiples raisons, risquer sa vie, se retrouver en terra incognita, tout recommencer, et souvent dans des conditions épouvantables…

L’auteure et metteure en scène a parfaitement su faire passer son sujet sur le plateau.
Tout d’abord, elle contextualise le propos, par la restitution par trois comédiens d’origine de ces pays d’entretiens qu’elle a menés en amont.

Les trois (les excellents Paul Nguyen, Dorothée Saysombat et Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné) s’adressent tour à tour à nous et nous racontent, un casque audio sur la tête, en prenant un accent caractéristique.
Trois adresses au public. Des témoignages poignants.
Et nous de réaliser…

Des images d’archives sont projetées au lointain, rappelant l’incroyable élan de solidarité de la société d’alors, dans son ensemble.
Ou quand PPDA (déjà lui…) proposait aux familles françaises d’accueillir des familles réfugiées au sein de foyers français.

Et c’est justement ce à quoi nous allons assister.
Non loin de Cholet, dans un petit village, une famille immigrée, père, mère et fille, (les trois comédiens sus-cités) est accueillie par une famille bien franchouillarde, si l’on excepte le fils adoptif en provenance du Biafra (le formidable Arnold Mensah).

© Photo Y.P.

© Photo Y.P.

La solidarité en marche, le choc des cultures, les religions différentes (Charline Grand est épatante en dame patronnesse de la paroisse, un peu à la Hélène Vincent dans La vie est un long fleuve tranquille), la nécessité de compréhension réciproque, tout ceci est abordé de manière subtile et très pertinente.
La dramaturge nous montre de délicieux petits moments de vie, des repas communs, une danse où deux styles chorégraphiques s’entrelacent…

Nous rions, notamment avec le personnage du père français un peu ballotté par les événements, interprété avec beaucoup de subtilité par Clément Bigot.

Une scène formidable, que nous ne comprenons peut-être pas dans un premier temps, nous permet de nous mettre à la place de ces déracinés. Un parti pris très judicieux, un changement de prisme très signifiant !

Les deux enfants jouant ensemble dès les premiers instants symbolisent l’espoir d’une société fraternelle et réunifiée, aux frontières abolies.

© Photo Y.P.

© Photo Y.P.

Un autre thème important va nous être proposé.
Dans ces années, ce sera le début de ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler l’aide-humanitaire.
Nous reverrons alors un certain Bernard Kouchner, qui n’avait pas encore de sac de riz à l’épaule,
accoster avec ses confrères médecins sur l’île de Pulau Bidong, à bord du bateau l’île de lumière.

De fil en aiguille, nous comprendrons que pour les occidentaux, accueillir ces réfugiés relevait d’un devoir humanitaire, certes, mais également et peut-être surtout d’une aubaine économique et politique.
Une immigration « exemplaire » et choisie, capable de s’intégrer soi-disant rapidement et de travailler très durement en quelque sorte… Le bonheur pour le capitalisme, quoi !
Là encore, nous comprenons bien le sous-entendu, et la mis en perspective actuelle.

Et puis un dernier acte.
Cinquante ans ont passé. Nous voici sur une plage du côté de Calais.
Un état des lieux implacable dressé par ceux qui ont grandi.
Les migrations sont devenues des problèmes nationaux, (suivez mon regard du côté de la Vendée…), génératrices de souffrances institutionnalisées, de persécutions, d’humiliations...

Il me faut noter l’importance du thème de l’eau dans ce spectacle.
La mer, bien entendu, terrible et mortelle… Mais pas seulement.
Tout au long de ces deux heures et quart, l’eau sera présente en permanence, y compris au sein de la famille d’accueil. L’effet est saisissant, que je me garderai bien de mentionner.
L’eau sur laquelle on peut déposer des images de souvenirs et d’actualité. Un autre moment très fort du spectacle.

Créé au Centre dramatique national du Théâtre du Nord, à Tourcoing et Lille, Boat People partira très prochainement en tournée dans tout l’hexagone.
Ne passez surtout pas à côté de cette puissante et intense entreprise dramaturgique, totalement et intelligemment maîtrisée de bout en bout.

Avec son théâtre, Marine Bachelot Nguyen nous décrit parfaitement notre rapport au monde.
Un monde, avec son passé récent porteur d’espoir en tous genres, et finalement un monde inhumain qui n’accepte toujours pas l’Autre. 
Le Frère en humanité ! 
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Boat people
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