24 Septembre 2025
/image%2F2036187%2F20250923%2Fob_70bab3_affiche-contes-d-hoffman.jpg)
A moi, contes, deux mots : fantasmes, illusions !
Lotte de Beer signe une remarquable mise en scèn, merveilleuse d’intelligence, du dernier opéra de Jacques Offenbach, créé ici même, à l’Opéra Comique, le 10 février 1881.
Une magnifique lecture de cet opéra énigmatique.
Enigmatique.
C’est l’actuel patron de la grande maison, Louis Langrée, qui attribue ce qualificatif, en présentant cette soirée de répétition générale.
Par le propos, certes, mais également et surtout par l’histoire même de cette œuvre.
Offenbach, qui avait coutume de procéder à des changements dans sa partition au cours des répétitions même, devait décéder deux semaines après le début de celles-ci.
La destinée de l’opéra sera des plus mouvementées, avec des ajouts, des remaniements de toutes sortes, à tel point que l’on a coutume de dire que l’œuvre est « ouverte », au bon vouloir de la direction musicale et de la mise en scène.
Cette production s’est appuyée sur la partition éditée par Michael Kaye et le musicologue français Jean-Christophe Keck, qui considèrent que Les contes d’Hoffmann est désormais une œuvre collective.
Enigmatique.
Freud, dans un article ouvrage consacré au sujet, avait évoqué une « inquiétante et familière étrangeté ». (On pourra relire avec intérêt le livre publié chez Payot.)
/image%2F2036187%2F20250924%2Fob_e83754_capture-d-e-cran-2025-09-24-a-01.png)
Au cours d’une soirée arrosée, un poète, Hoffmann, va évoquer pour ses amis et donc pour nous trois de ses histoires d’amours, avec trois de ses pseudos-conquêtes féminines.
Trois fantasmes, en réalité, si je puis m’exprimer ainsi.
A chaque conte, le fantastique interviendra. A chaque narration, nous allons douter, nous serons déroutés.
Science, magie, rêve : tout est bon pour les librettistes Jules Barbier et Michel Carré : il faut brouiller les pistes.
C’est dans cette optique que Lotte de Beer va nous plonger dans des illusions du même nom, afin de nous proposer une séance de psychothérapie d’un artiste-poète.
La patronne du Volksoper de Vienne va multiplier les changements de paradigmes, de points de vue, que ce soit par l’utilisation de perspectives forcées, d’échelles trompeuses pour les meubles ou certains personnages aux yeux verts, par des apparitions étranges, des miroirs et des doubles, afin de mettre en exergue de façon on ne peut plus pertinente et judicieuse les troubles psy d’Hoffmann.
Au fond, on pourrait se croire au musée de l’illusion.
Et nous de douter en permanence, donc.
Hoffmann, érotomane paranoïaque ?
C’est en tout cas ce que pense sa Muse.
La metteure en scène a fait de cette Erato-là le deuxième personnage principal de l’histoire, avec beaucoup d’à propos et de perspicacité.
Alors que souvent, les confrères et consœurs accordent beaucoup plus d’importance aux trois conquêtes du poète, ici, c’est bel et bien cette Muse qui prime. Comme une évidence.
Mademoiselle De Beer en a fait une sorte de psychanalyste-psychologue-thérapeute, qui est constamment sur les talons de son patient.
Souvent dans son dos, elle l’accompagne, le conseille, l’apostrophe, le rabroue ou l’enguirlande copieusement.
Un magnifique duo interprète ces deux rôles.
Le ténor Michael Spyres, que j’avais tant applaudi dans La nonne sanglante, Fidelio, ou encore Le postillon de Longjumeau, ainsi que la mezzo Héloïse Mas, qui enfin, décroche un grand rôle à Paris, vont exceller à camper ces deux personnages.
Les deux nous enchantent. Purement et simplement. Nous sommes en permanence émerveillés par les voix bien entendu, mais également par l’osmose, la cohésion artistique entre les deux.
De plus, nous sourions ou rions souvent, grâce à eux. (Je n’en dis pas plus…)
C’est un véritable bonheur de constater encore et toujours leurs talents lyriques et dramaturgiques.
En effet, Lotte de Beer a beaucoup demandé aux chanteurs.
Sa mise en scène rythmée et très physique, c’est le moins que l’on puisse écrire...
Chez elle, les corps sont soumis à rude épreuve, on tombe, on se relève, on se bat, on se frappe, on s’attrape, on s’attire, on se repousse…
Sans jamais tomber dans la caricature. Tout est ici mesuré à sa juste valeur, tous les curseurs sont à leur exacte position.
Michael Spyres sera bouleversant dans la dernière scène, alors que le chœur éclaté dans toute la salle interprète le dernier air. J’avais les larmes aux yeux.
Amina Edris est chargée d’interpréter les quatre autres rôles féminins, ce qui n’est pas si courant que cela.
La soprano sera elle aussi irréprochable.
En femme-enfant qu’on ne voit pas toujours chanter (je vous laisse découvrir, le procédé est épatant…), en femme ménagère à la maison, en courtisane, elle campe toutes ces femmes de façon irréprochable.
Et nous de comprendre au passage que Lotte de Beer nous montre également la vision de la gent féminine de son Hoffmann.
Ses fantasmes féminins interpellent également quant au peu de « combat féministe » dont il fait preuve…
Jean-Sébastien Bou, qui fut un épatant Prince de Mantoue dans le Fantasio mis en scène par Thomas Jolly, ou encore un lumineux Mârouf, dans Le savetier du Caire, excelle lui aussi dans plusieurs rôles.
Le baryton, affublé de perruques différentes, mais toujours rousse campe ce diable à multiple figures, celui qui entraîne Hoffmann du côté obscur de la force.
Comme ses trois camarades évoqués ci-dessus, lui aussi sera très applaudi.
A la baguette, Pierre Dumoussaud tirera le meilleur de l’orchestre philharmonique de Strasbourg, avec notamment des nuances très subtiles, et des couleurs de pupitre chatoyantes ou plus sombres.
Le Chœur Aedes confirme s’il en était encore besoin qu’il se place comme un des ensembles vocaux les plus en vue du moment.
La très belle scénographie de Christof Hetzet est elle aussi porteuse de bien des doutes et interrogations : mais comment font-ils pour changer aussi vite d’accessoires ou de meubles ?
Aux saluts, nous saurons.
Un autre élément participe pleinement à la réussite de cette production : Alex Brok a créé de magnifiques lumières, subtiles et délicates, qui contribuent grandement elles aussi à toutes les illusions sur le plateau.
Dès le premier salut, tous les artistes et tous les techniciens sont très applaudis, les « bravo » fusent.
Ce n’est que justice.
Ces Contes d’Hoffmann permettent à la Salle Favart une rentrée placée sous le signe de la plus grande réussite.
Comme j’aimerais que cette production soit enregistrée, et qu’un Blue-Ray ou une diffusion en streaming soient envisagés !
Et moi de me répéter : tout ceci est remarquable et d’une merveilleuse intelligence !
/https%3A%2F%2Fwww.opera-comique.com%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2Fstyles%2Fmeta_1200%2Fpublic%2F2025-03%2F2025-2026_Image_ContesHoffmann_1920x1080_2.jpg)
Les contes d'Hoffmann de Jacques Offenbach
Tandis que sa maîtresse Stella triomphe dans le Don Giovanni de Mozart, le poète Hoffmann s'enivre dans la taverne attenante au théâtre. Échauffé par la présence de son rival Lindorf, il ré...
https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/les-contes-d-hoffmann