15 Septembre 2025
/image%2F2036187%2F20250914%2Fob_c98544_capture-d-e-cran-2025-09-14-a-16.png)
On s’fait une toile au théâtre ?
Deux, alors !
Ou comment ne plus jamais regarder son couteau à pain de la même manière !
Arles. 25 octobre 1888.
Il est fébrile, Vincent. Il attend Paul.
Van Gogh a une grande ambition : fonder une maison d’artistes, un atelier fraternel à l’image de ce qui pouvait se faire dans les cercles artistiques de l’époque.
Il a donc « suggéré » à Gauguin de venir le rejoindre, sous le soleil de la Provence.
Ce dernier descend du train et rejoint son « copain » .
Copain ? Vraiment ?
Cliff Paillé et David Haziot ont eu l’excellente idée d’imaginer la cohabitation qui s’installe entre les deux peintres, durant exactement neuf semaines, dans la maison de l’auteur des Tournesols.
(Je rappelle au passage que Cliff Paillé nous avait notamment enchanté voici quelques années avec un épatant spectacle consacré à Chalie Chaplin. C’était ici.)
Les deux auteurs vont donc nous détailler par le menu la vie commune, les conceptions assez opposées en matière picturale de ces deux monstres sacrés de la peinture, la certitude de l’un, les doutes, les angoisses de l’autre.
Par le biais de ce double portrait psychologique, nous allons assister aux rapports intenses qui vont régir la brève « vie commune » de ces deux hommes.
Bien entendu, cette vie-là est rythmée par la passion de la peinture, des couleurs, des formes.
Nous allons parfaitement comprendre ce qui pousse les deux hommes à s’emparer des pinceaux, nous allons percevoir ce qui les différencie artistiquement parlant.
Le propos relève à la fois de la fiction, bien entendu, personne n’était présent sur les lieux pour raconter ce qui s’est vraiment dit et fait, mais également de la pédagogie : au même titre qu’un cours à l’école du Louvre, nous sommes vraiment plongés dans une analyse assez poussée des deux styles.
Mais il y a bien plus.
Durant une heure et quinze minutes, nous allons assister à une joute verbale entre deux personnages, dont l’un souffre psychologiquement.
Les auteurs Paillé et Haziot nous décrivent la progression inexorable des troubles dépressifs de Van Gogh, ceci entraînant des tensions de plus en plus fortes entre les deux hommes, le tout aboutissant à un terrible acte de désespoir.
Il fallait deux comédiens capables de transcrire sur le plateau ces tensions grandissantes et cet affrontement entre deux personnages si forts.
William Mesguich et Alexandre Cattez sont ces deux comédiens-là, à la formidable intensité de jeu.
Dès les premiers dialogues, dès les premières scènes, nous allons être complètement plongés dans le feu brûlant de cette histoire.
C’est bien simple, il sera impossible de ne pas se passionner pour les rapports entre ces deux peintres ayant posé bien des principes de l’art pictural moderne.
Mis en scène par Cliff Paillé lui-même et Noémie Alzieu, le duo fonctionne à la perfection, parvenant de façon magistrale à faire monter la tension.
Leur progression commune est remarquable. On croit totalement à la dégradation de la relation des deux artistes (certes, elle était faussée dès le départ…), à la dislocation des sentiments éprouvés l’un envers l’autre.
Alexandre Cattez est Gauguin.
Le comédien en fait un homme plutôt extraverti, un type sûr de son talent, un artiste qui n’hésite pas à critiquer son collègue et à lui donner des conseils (« il faut aller plus loin que faire gueuler les couleurs ! »)
Il nous fait rire, notamment dans les scènes de départ pour des promenades hygiéniques en Arles. (Je vous laisse découvrir et ne développe pas...)
William Mesguich, autre habitué de ces colonnes, est donc Van Gogh.
Barbe et cheveux roux, il commence lui aussi par faire fonctionner nos zygomatiques, avec les petits rires de son personnage, ainsi que l’enthousiasme qu’il confère au peintre néerlandais.
Et puis tout se délite.
C’est alors que le comédien prend doucement mais sûrement un ton et un jeu sombres, voire effrayants.
Nous touchons alors la souffrance du peintre, son profond mal-être intime.
Les deux sont irréprochables dans la peau de ces deux beaux personnages. Deux très grands rôles.
Une scène absolument magnifique nous attend, au climax du malaise, une scène muette entre les deux personnages, une scène nécessitant une tranche de pain.
Tout est dit, avec une formidable économie de moyens… (Et non, vous n’en saurez pas plus...)
On sort de ces remarquables soixante-quinze minutes fort impressionnés.
On ne peut qu’être subjugué par cette entreprise artistique, très applaudie par des spectateurs totalement conquis.
Vous aussi, ne manquez pas cette passionnante confrontation !