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La colère

© Photo Y.P. -

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Dies irae !
Ou les raisons de la colère.

Tout est parti de Louise Michel, la révoltée, la révolutionnaire.
Une femme en colère.
En entamant une recherche autour de cette personnalité historique fascinante, Laurent Vacher a ouvert une véritable boîte de Pandore.

Le dramaturge a eu l’idée de confronter la colère de cette illustre femme, à celles d’autres femmes, bien contemporaines, celles-ci.
Des femmes anonymes, des femmes lambda qui vont témoigner.

Quelles sont les sources et les raisons de ces colères, en 2025, pourquoi sont-elles en colère, ces femmes dont nous allons entendre la parole, LEURS paroles, qu’est-ce qu’elles nous disent, en racontant leurs sources de mécontentement, de frustration, en nous hurlant leurs propres révoltes ?

Comment tout ceci peut-il entrer en résonance avec la figure phare de La Commune de Paris ?

Un problème essentiel s’est présenté d’emblée à la Compagnie du Bredin.
Comment ne pas trahir ces paroles de colère, et surtout, surtout, comment faire en sorte qu’avec tous les témoignages, le spectacle ne dure pas trop longtemps ?

Laurent Vacher a donc opté pour un judicieux parti, à savoir nous proposer une sorte de tirage au sort.
Un spectateur va commencer par choisir une enveloppe. La rouge ou la bleue ?
Chaque enveloppe contient la liste de tous les témoignages que vont nous révéler les trois artistes du plateau.
(On comprendra au passage que les trois comédiennes et comédien auront deux spectacles à apprendre et à interpréter…)

Hier, ce fut l’enveloppe bleue qui fut choisie au hasard, et ce par une main à priori innocente.

Odja Llorca et Marie-Aude Weiss commencent par nous rappeler les conditions de la naissance de Louise Michel.
Une « enfant naturelle », comme on disait à l’époque, en 1830.

Sa mère, Marie Anne Michel, femme de chambre au château de Vroncourt en haute-Marne, fut probablement violée par le fils du châtelain. (Ce fils fut éloigné du château par ses parents...)
La petite Louise passa donc son enfance au château, et dut entendre et comprendre les quolibets, injures et insultes que sa mère dut subir, dans les villages environnants.
Une première colère, assurément…

Mesdemoiselles Llorca et Weiss vont nous raconter.
Elles vont se faire les porte-paroles de ces femmes qu’elles ont rencontrées qui dans un bar, qui dans un fast-food, qui dans un foyer... Des entretiens qui ont également eu lieu chez les interviewées, ou chez le metteur-en-scène en personne.

De façon intense, puissante, sans compromis ni compromission, elles nous disent et nous font comprendre.
Ce que leurs sœurs en sororité leur ont confié.
Elles sont très proches du premier rang des spectateurs, et donc peuvent nous regarder droit dans les yeux, bien en face, comme pour bien appuyer le propos.
Et nous faire sentir, s’il en était encore besoin, combien ces colères nous concernent tous.

Leur dénominateur commun, à ces révoltes contemporaines, c’est évidemment notre société tellement encore patriarcale.
Les relations femmes-hommes sont les vecteurs « privilégiés » de ces cris de gueule anonymes. (une grande partie de ces témoignages a été recueillie dans le Nord de la France.)

Cette professeure des écoles démunie face à un petit élève perturbateur alors qu'elle n'a pas les moyens de le prendre en charge, ces jeunes femmes dans un foyer social, cette femme politique de gauche en colère, mais qui reçoit également les colères de ces administrés, ces lycéennes, cette femme en surpoids qui a eu l’impression de ne pas culpabiliser par son poids uniquement lorsqu’elle était enceinte, cette locataire qui estime anormal que des migrants ne payent pas de loyer et qui donc va voter RN, toutes ces femmes (il y en a bien d’autres dans le spectacle), toutes ces femmes existent et sont entendues par le biais des deux comédiennes.

Deux comédiennes qui nous captivent à restituer ces textes ô combien poignants. (Dans le cas de la locataire RN, la parole, même si l’on ne la partage évidemment pas, a le mérité d’être portée sur le devant de la scène.)
Il est impossible de se détacher de ce qu’elles nous racontent. On ne peut qu’être fasciné au sens premier du terme par la teneur des témoignages.

Elles ne sont pas seules sur scène.
A cour, Philippe Thibault a pris sa guitare Epiphone et ses pédales d’effets.
Ce spectacle est en effet un spectacle musical. Aussi.
Des accords saturés nous parviennent, à travers un petit ampli.
L’overdrive, le fuzz, la distorsion pour appuyer les mots de rage et de désespoir.
A chaque témoignage, il chante de rythme, avec parfois une pulsation grâce à un looper. Le parti-pris fonctionne lui aussi pleinement.

Laurent Vacher lui a également confié un autre rôle : c’est lui qui se chargera des « didascalies », notamment de nous préciser le lieu de collecte des différents témoignages. Une sorte de narrateur géographique. 

Les deux comédiennes apporteront également leurs contrepoints, avec un ukulélé ou un petit clavier Casio.

Les trois artistes, durant cette heure et cinq minutes, nous dressent un tableau sans concession d’un profond malaise sociétal, trop passé sous silence.

On sort de la salle avec un sentiment d’avoir assisté à un spectacle à la fois puissant et nécessaire.
Oui, de nos jours, le théâtre est un vecteur privilégié pour témoigner de la condition féminine et notamment de cette difficile condition-là.

Nous sommes dans un théâtre-vérité, un théâtre qui nous dit le monde tel qu’il ne va pas.
Nul doute qu'à Avignon, ce spectacle rencontrera un vrai succès.

A Avignon, où il ne drache que très peu...

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