5 Juin 2025
Un spectacle aux taupes !
Un spectacle qui se mérite. Il est en effet 5h39 du matin lorsqu’il débute, dans le parc du Petit Jard, à Châlons sur Marne.
Mais se lever tôt sera récompensé !
Nous allons assister à un moment artistique merveilleux, inoubliable, de ceux qui vous font vous sentir vivant !
Jérôme Bouvet et la compagnie Zul 2222 nous proposent cette ode à la reconnexion à soi-même et à la nature, une heure et dix minutes de poésie, d’humour, d’humanité, de tendresse, de drôlerie, de performances circassiennes.
Un spectacle qui vous fait beaucoup de bien. Dont personne ne peut sortir indifférent, auquel tout le monde devrait assister.
Histoire de se sentir Humain, vivant parmi d'autres êtres vivants.
Un être étrange apparaît au fond du parc, se dirigeant vers nous.
Un manteau argenté, une chapeau bizarre, qui passe devant une taupinière laissant échapper une fumée verte.
Voici Topec. Le berger de taupes. L’un de ces petits métiers par trop oubliés.
Et surtout un métier trop passé sous silence.
Topec est un philosophe, gardien du sacré de la nature, lanceur d’alerte concernant ce qu’il faut nous fait impérativement préserver.
Une sorte de Radagast, le mage en charge de la nature, des animaux, du vivant, dans l’œuvre de Tolkien.
Il se sent bien, nous dit-il, « comme une épine qu’a pas envie de piquer », nous précise-t-il.
Sous couvert de nous parler de ses « précieuses sous terre », ses « boulotteuses de diamants et de vers de terre », de «ses charmeuses de chrysalides », il va nous enjoindre à nous remettre en phase avec la chose vivante, avec notre patrimoine écologique commun.
Lui, ce qui l’intéresse aussi, ce sont les mouvement secrets de la terre et du ciel, « l’intimmensité » du cosmos, auquel nous appartenons en tant qu’éléments infinitésimaux.
Mais qu’on ne s’y trompe pas. Se remettre en phase avec la chose vivante et l’univers, c’est avant tout porter un regard introspectif sur notre propre rapport à la nature et à notre façon personnelle de la préserver.
Jérôme Bouvet interprète ce berger, malicieux, spirituel et poétique, aux yeux ronds comme des billes. Il porte un nez rouge et tire souvent sa langue, de façon gentiment impertinente.
Impossible de s’y tromper. Devant nous, se tient un clown, certes, mais un clown très actuel, qui par le biais d’un langage relevant bien entendu du discours parlé, mais aussi d’un langage corporel, va nous dire et nous rappeler bien des vérités et des évidences oubliées.
Durant pratiquement toutes ces soixante-dix minutes, il va nous parler. (Nous entendrons un autre participant, soyez un peu patients…)
D’une petite voix un peu haut perchée, pleine de tendresse, de façon souvent un peu espiègle, il va nous dire son texte.
Un texte à la fois simple et très ardu. Une vraie performance de comédien.
Avec des emprunts à Babouillec, la poétesse autiste, mais aussi Vincent Cros, Thomas Vinau.
Ici, il sera question notamment question de délicieux aphorismes.
« Un nuage, c’est rien que de l’eau qui vole avec les oiseaux, mais c’est beau ! », est l’un de mes préférés.
La beauté, ce qui est beau, sera aussi un thème important du spectacle.
Questions philosophiques également : « Combien de temps on peut rien faire ? »
Ceux qui sont obsédés par la vie trépidante et moderne devraient fortement réfléchir avant de tenter de répondre.
Jérôme Bouvet est à la fois tendre et drôle. On ne peut qu’éprouver de l’empathie teintée d’admiration pour son personnage qui peut même lire à travers les yeux de chaque spectateur.
La séquence est épatante.
Nous le suivrons ce berger taupier, dans une petite déambulation nous menant à son atelier, où la forme ronde aura une importance capitale.
Avec lui, le monde tourne rond. Comme les chapeaux melons avec qui il jongle.
Comme cette grande roue à la métaphore immédiatement compréhensible.
Le rond, la roue, engendrant un mouvement qui n’a ni début ni fin.
Il est suivi par son ombre par un Vincent Petit, le créateur sonore, qui diffuse en direct des séquences musicales délicates. Tout ceci est très judicieux et fonctionne parfaitement.
Et puis, nous retournerons au champ de taupinières, où Topec donnera la parole à Grostronc, son meilleur pote.
Un érable au moins centenaire. Il lui donnera la parole grâce à un procédé connu de lui seul, nécessitant quelques accessoires.
Et nous d’entendre ce vénérable arbre, par le biais d’une voix que les fidèles lecteurs de ce site connaissent bien, celle de Denis Lavant.
Monsieur Lavant, de son ton et inflexions inimitables nous reformule le message de Topec.
Encore une épatante scène.
Il sera temps de se quitter, le message étant parfaitement passé.
« Je vous souhaite la grande vie d’une petite goutte de pluie », nous dit ce berger pas comme les autres, avant de s’éloigner sous un tonnerre d’applaudissements et de « Bravos » à réveiller tous les riverains du parc.
Comment ne pas être émerveillé par cette entreprise artistique à nulle autre pareille, par ce temps dramaturgique et circassien unique et très fort ?
Jérome Bouvet, en tant qu’artiste, nous délivre un brillant message poétique, philosophique et politique au sens noble du terme.
Ici, il est question d’interroger notre place au sein d’un grand Tout.
Et d’un grand trou, aussi. De taupe, le trou !