18 Mai 2025
Quand Jacques Vincey nous en « bush » un coin.
Bienvenue dans le bush australien et plus précisément à Wonnangatta, où la démographie est tout sauf galopante, au point que certaines années, la population se réduit à 0 âmes.
Nous sommes en 1917.
Jim Barclay, fermier de son état, est retrouvé mort par son ami Harry et son pote Rigall.
Jim a été enterré jusqu’au cou, sa tête s’étant trouvée dévorée par les chiens.
Après avoir sans doute conclu qu’il ne s’était pas suicidé, les deux potes vont tenter de retrouver l’assassin. Ils lui doivent bien ça...
Voici en quelques mots l’argument de la dernière pièce de l’auteur australien Angus Cerini, créée à au Théâtre de Sidney en 2020 avec Wayne Blair et Hugo Weaving (le méchant des Matrix, notamment…)
Dans un thriller à la fois intime et l’auteur nous invite à entreprendre avec ses deux personnages une sorte de western- « road-play » dans les contrées sauvages de la grande île australe, là où la nature est seule maîtresse.
Autant l’écrire immédiatement, l’écriture de Cerini, traduite à la perfection par Dominique Hollier, cette écriture est âpre, rêche, avec des phrases courtes aux formules lapidaires, qui claquent au vent froid, rendant très bien la langue que parle les deux protagonistes de ce « buddie-play ».
Deux hommes confrontés à la dureté d’un pays pratiquement sauvage, deux copains fermiers ou coureurs des bois.
Deux types confrontés à un drame inacceptable, qui vont se servir de leurs mots pour lutter ensemble contre l’adversité.
Comment Harry et Rigall ne pourraient-ils pas nous faire penser à Vladimir et Estragon ? Beckett n’est jamais très loin.
Ici, ils n’attendent personne, leur Godot à eux est mort, mais leur quête d’un assassin sera une quête personnelle, une introspection à dos de cheval.
Ici, les grandes questions sont et resteront intimes et personnelles.
Le trouveront-ils seulement, ce meurtrier ?
Jacques Vincey a su éviter un immense piège. Celui de céder à la facilité de la représentation du monde naturel et hostile.
Rien n’aurait été plus facile d’aligner sur le plateau quelques arbres plus ou moins angoissants et menaçants, un peu de mousse plus ou moins en putréfaction.
Il aurait pu aussi utiliser d’immenses projections vidéo tendances, plus ou moins effrayantes et sur-exposées.
Et après ?
Quel intérêt pour nous autres, spectateurs ? Ici, la nature hostile, nous allons l’imaginer dès notre entrée dans la salle.
Les deux personnages nous attendent, immobiles, sous un néon. La scène est recouverte d’une sorte de tapis quadrillé.
Nous allons très vite comprendre que ce tapis est en réalité constitué d’une couche de petits cubes de mousse dure et noire, sur laquelle marcheront les comédiens. (J’ai pensé à la salle de l’épée de bois, avec tous ses petits morceaux de bois au sol...)
Ces cubes sont amovibles, et seront manipulés par les deux comédiens, créant ainsi des trous dans le plateau, pouvant également former des amoncellements ou des assemblages en hauteur.
C’est à nous de faire le boulot, de faire fonctionner notre imagination. On se souvient que dans l’Alien de Ridley Scott, c’est à nous d’imaginer le pire.
Le parti-pris est très judicieux, et sert parfaitement le propos général.
De plus, ce qui ne gâche rien, ceci confère une noire beauté un peu surréaliste et austère à l’entreprise artistique.
Au fur et à mesure que les personnages évoluent, le metteur en scène a également utilisé des rangées de néons qui descendent des cintres, un peu menaçants, se détachant parfois, participant eux aussi au sentiments de chaos sur un plateau chamboulé.
Les deux personnages sont interprétés par les excellents et irréprochables Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter.
Les deux comédiens incarnent ces deux hommes avec à la fois force et fragilité.
Nous sommes en permanence accrochés à leurs dires.
Les deux ont pris à bras le corps ce texte ardu qui résonne comme un véritable thriller métaphysique.
Les deux nous plongent en permanence dans l’incertitude déstabilisante.
Le suspens n’est pas tant de s’assurer qu’un certain Bamford est bien le coupable. Au fond, ce qui compte, c’est bien de suivre le questionnement fantasmatique de ces deux anti-héros, confrontés à une réalité qui les dépasse complètement.
Ne manquez pas ce spectacle, qui vous plonge dans un double voyage initiatique.
Un moment de théâtre intense et profond, maîtrisé de bout en bout.
Jacques Vincey | Wonnangatta | 2024-2025 - Les Plateaux Sauvages
Texte Angus Cerini Traduction Dominique Hollier Mise en scène Jacques Vincey Collaboration artistique Céline Gaudier Scénographie Caty Olive et Jacques Vincey Création lumière Création musica...