19 Mai 2025
Une phénoménale leçon de théâtre !
Un pur enchantement !
En montant ces deux pièces de jeunesse du grand Anton, écrites à l'âge de 28 ans, Jean-Louis Benoît plonge le Poche-Montparnasse dans un complet bonheur et une totale frénésie !
Ce qui se passe sur le plateau nous ravit, nous passionne, nous fait rire aux éclats, nous émeut également, nous bluffe par l'énergie déployée et nous fait aussi réfléchir.
Jean-Louis Benoît connaît bien son Tchekhov.
Il sait que l'auteur considérait ces deux pièces comme des « plaisanteries », même si l'on peut penser qu'un peu de fausse modestie caractérisait ce terme.
Nous allons énormément rire, à suivre les aventures des protagonistes de ces deux farces.
Le sociologue qu'est Tchekhov, avec son regard acéré sur ses concitoyens va s'en donner à cœur joie.
Car bien entendu, nous sommes au-delà de la pure farce, certes drôlissime,. Nous assistons à une féroce et néanmoins très réaliste peinture de la société russe du moment.
Il sera question d'une demande en mariage ô combien étonnante, entre deux caractères bien trempés. Puis nous sera contée l'histoire d'un petit propriétaire terrien, un véritable ours, venu demander le remboursement d'un prêt à une créancière voisine.
Jean-louis Benoît s'est attaché à nous disséquer de façon on ne peut plus subtile les thèmes chers au futur auteur d'Oncle Vania et de la Cerisaie.
La première réussite de cette entreprise dramaturgique, c'est d'avoir mis en avant la terre, le monde de la paysannerie. Ce sont des gens attachés à leur terre qui sont mis en scène. La propriété foncière va générer bien des péripéties et des situations de pure comédie. Je vous conseille au passage d'être très attentifs à la bande son.
La deuxième réussite du metteur en scène, c'est d'avoir mis l'accent sur l'image ambivalente que pouvait avoir Tchekhov des femmes. Ici, Emeline Bayart va camper deux femmes qui finalement seront les personnages principaux de la soirée. Les "vrais hommes" !
Des femmes qui veulent certes assumer leur féminité, mais pas seulement. Dans la deuxième pièce l'héroïne, veuve éplorée et inconsolable, se comporte également en homme. Son personnage sera d'ailleurs presque plus homme que les deux autres, séduisant ainsi cet ours !
Et puis bien entendu, un autre grand mérite de Jean-Louis Benoît est d'avoir réuni un époustouflant casting.
Les trois comédiens, Emeline Bayart, Jean-Paul Farré et Luc Tremblais vont déployer une énergie, une vis comica, un rythme, une puissance furieuse presque grotesque, une violence et à la fois une subtilité dans leur jeu qui force le respect.
Ce qui se joue sur le plateau, pendant cette heure vingt, est véritablement passionnant.
Ces trois-à nous proposent un véritable cours de comédie.
Ils nous embarquent dans un tourbillon, un maelström. Une sorte de folie complètement maîtrisée monte progressivement dans chacune des pièces.
Chacun parvient à faire évoluer subtilement son personnage, en partant d'un état initial relativement calme, pour arriver à des situations et des échanges paroxystiques au possible.
Jean-Louis Benoît a su placer le curseur à son exacte place. Les cris, les vociférations, les scènes de disputes sont à la fois réalistes et exagérées. Une vraie folie et en même temps de vraies situations très réalistes.
Une nouvelle fois, Emeline Bayart est absolument hilarante. Ses expressions, sa gestuelle, sa façon d'écarquiller les yeux, ses ruptures, ses envolées lyriques, ses cris, ses rugissements déclenchent des fou-rires nourris.
Quelle puissance comique ! Quelle nature !
Jean-Paul Farré est à son habitude magnifique de drôlerie, de folie. Son interprétation de cet « ours » est un grand moment de jeu. Il fait passer son personnage du plus extrême et intraitable des misogynes au plus transi des amoureux avec une incroyable finesse et une progression tout en subtilité.
Et puis Luc Tremblais. Reprenant le rôle créé dans cette production par Manuel Lelièvre, le comédien lui aussi nous enchante de sa force comique tout en retenue et en subtilité. Sa manière de jouer l'hypocondriaque nous amuse énormément.
Je ne voudrais pas passer sous silence le magnifique décor de Jean Haas, qui participe à la vision tchekhovienne d'une société russe en déliquescence.
Et d'une certaine manière qui vient également rappeler une autre thématique de ces deux pièces, à savoir une certaine obsession de Tchekhov qui pointe déjà : la mort.
Oui, ce merveilleux spectacle est d'ores et déjà un incontournable de cette fin de saison.
Vous l'aurez compris, il faut vous ruer au Poche-Montparnasse !
Et moi de me répéter : c'est une magistrale leçon de théâtre qui vous y attend !
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas...