17 Mai 2025
La grâce ! Une heure et quarante cinq minutes de pure grâce et d’épure !
Et si hier, au Bataclan, j’avais assisté au concert jazz de l’année ?
Elle, c’est l’une de mes héroïnes absolues !
Elle, c’est l’une des plus grandes contrebassistes au monde. Je la tiens pour l’égale de Ron Carter, (si si…), Christian Mc Bride ou Avishai Cohen.
Barack et Michelle Obama sont d’accord avec moi, qui l’avaient invitée à plusieurs reprises à jouer à la Maison Banche.
Elle, elle a déjà remporté quatre Grammy Awards, elle a été la première jazzwoman à remporter le Grammy Award du meilleur nouvel artiste.
Elle, elle est musicienne, chanteuse, compositrice, productrice, arrangeuse, actrice, mais aussi enseignante et pédagogue (elle a été à 20 ans la plus jeune enseignante du prestigieux Berklee College of Music.
C’est de plus une artiste engagée qui milite en faveur de plusieurs causes humanitaires importantes.
Esperanza Spalding se fait beaucoup trop rare en France, où le jazz est à la peine.
Son concert au Bataclan était donc attendu impatience par tous les fans. Son concert à Paris sera sa seule date française de l’année.
Esperanza Spalding, la surdouée qui arrive où on ne l’attend pas…
J’en veux notamment pour preuve ses deux derniers albums, où elle chantait en compagnie de l’immense pianiste Fred Hersch, un autre membre de mon panthéon personnel.
Dans son dernier opus en date, elle formait un autre duo avec une icône de la musique brésilienne, je veux parler de Milton Nascimento.
Comme si tout ceci ne suffisait pas, elle codirige des résidences de performances, d'enseignement, d'ateliers et de recherche en arts thérapeutiques, en collaboration avec des universités, çà Portland, sa ville natale, mais aussi des lieux artistiques américains et du monde entier.
Le concert commence avec Formwela 1.
Miss Spalding est seule, avec sa magnifique contrebasse quatre cordes, aux chevilles en bois.
La composition est extraite de l’album Songwrights Apothecary Lab, paru en 2021, qui comprend douze titres pour assurer comme un effet thérapeutique à ceux qui écoutent cette musique.
L’idée était de désamorcer les effets nocifs de la pandémie que l’on sait.
Nous, nous comprenons que nous allons vivre un immense moment musical.
Comment ne pas s’émerveiller encore et toujours de la fabuleuse technique, de la merveilleuse délicatesse d’Esperanza Spalding, toujours au service de l’émotion la plus pure ?
Elle est fascinante.
Certes, c’est l’une des plus grandes techniciennes mondiales de l’instrument, mais elle chante également d’une façon magnifique.
De sa voix chaude, claire, qui se teinte parfois d’un léger et subtil voile, elle nous fascine.
La tessiture est impressionnante, tout comme les sauts dans les aigus, lorsqu’elle se joue avec une facilité déconcertante des intervalles importants.
Elle chante et elle joue simultanément, ce qui représente une véritable performance artistique.
Loin de vouloir envisager ceci comme une “démonstration” ou un”challenge”, cette performance est “simplement” l’expression de son art, comme une évidence musicale.
Ces premières notes, jouées et chantées, ces premières mesures créent effectivement un sentiment immédiat de bien-être. Nous sommes tout de suite plongés dans un ravissement total.
La virtuosité au service dun message de la plus grande musicalité.
Elle est bientôt rejointe au piano Fender Rhodes par le multi-instumentiste Morgan Guerin,
Esperanza Spalding a en effet arrangé tous les titres du concert pour eux deux.
Outre le piano, il jouera également du saxophone et de la batterie. Un autre surdoué, en somme !
Les talents respectifs des deux artistes s’additionnent, totalement complémentaires.
Les compositions s’enchaînent. Dancing the Animals, Thang, Love, Cantors de Yala, en espagnol...
A la contrebasse ou à la basse fretless cinq cordes, Miss Spalding nous joue son jazz actuel. Un jazz toujours passionnant, teinté d’influences multiples et contemporaines, un jazz à la fois foisonnant et épuré. Comme un oxymore.
Il y a vraiment un “style Spalding”, la musicienne est une véritable créatrice, qui, album après album, laisse son empreinte originale et toute personnel dans cet univers musical.
On reconnaît immédiatement un titre composé par Esperanza Spalding.
Pour autant, elle sait ce qu’elle doit aux grands aînés.
Durant ce concert, elle rendra hommage à Wayne Shorter, avec qui elle a joué, pour une magnifique version de Endangered Species.
Nous aurons également un très émouvant Overjoyed, de Stevie Wonder, et un autre grand standard, le Nothing like you d’un certain Miles Davis.
La musicienne est également dotée d’un grand humour. Ses interventions, spirituelles et parfois facétieuses (elle nous provoque gentiment...) sont très drôles.
Elle nous demandera à plusieurs reprises de chanter. Nous nous exécuterons volontiers, de façon plus ou moins réussie, mais toujours enthousiaste…
Sur la set-list sont inscrits deux “tubes” de la chanteuse, Cinnamon tree et Black Gold.
Et nous d’être emportés une nouvelle fois par ces morceaux issus du merveilleux album Radio Music Society.
Elle aura l’élégance d’inviter la percussionniste malienne Mélissa, qui assurait la première partie du concert, à la rejoindre sur scène, pour un “bœuf” des plus réussis.
Les deux musiciennes, avec Morgan Guerin aux drums et au ténor, nous offrent un très joli moment.
Un rappel à la voix seule viendra conclure ce merveilleux concert.
Nous, dans la salle, nous aurions aimé rester davantage en compagnie de celle qui dès le lendemain doit continuer sa tournée mondiale en Espagne pour trois concerts, avant de rejoindre Berlin, Anvers, Utrecht, Stockholm, avant de retourner aux Etats-Unis puis en Afrique du Sud…
Les spectateurs sortent du Bataclan conscients d’avoir assisté à un concert où le talent, la virtuosité et la beauté musicale étaient présents en permanence.
Un concert rare ! Trop rare !
La Grâce, vous dis-je !