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Les pieds sur terre

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Nous sommes toutes et tous des Mme Dos Santos !

Mme Dos Santos, elle est caissière au Carremarché ou Auchclerc du coin.
Au SMIC, bien entendu, parce que l’immense enseigne où l’actionnaire principal qui touche par mois six cents fois plus qu’elle n’a sans doute pas la possibilité légale de la payer moins…

M. Moreau est vigile, dans ce même hypermarché. Un "ex-cadre-sup" déchu, victime du déclassement social.
Il surprend Mme Dos Santos à voler un flacon de parfum premier prix.

Tout a été enregistré sur les bandes-video. Un cas de conscience se pose à lui : faire perdre le travail de sa voisine du dessus (qui fut également la nounou de sa fille Suzanne), ou bien ne rien dire et perdre sa propre place, lui qui est tout aussi « bien » payé qu’elle ?

Dilemme !
Heureusement, Suzanne, la lycéenne de 17 ans veille au grain !

Une nouvelle pièce de Gilles Granouillet est pour moi un événement, moi qui suis un inconditionnel de cet auteur qui n’a probablement pas son pareil pour nous renvoyer à la figure notre société dysfonctionnant à qui mieux-mieux. (Et oui, je possède et j’ai lu toutes ses pièces éditées à ce jour…)

Ici, Granouillet nous parle de solidarité et de fraternité. Et nous renvoie à notre propre humanité.
Des valeurs qui résonnent comme des gros mots ou des insultes pour certains.
Ceux qui sont pour l’exploitation des petites gens (et sous mon traitement de texte, je vous prie de croire que « petites gens » n’est pas une injure…), ceux qui ne jurent que par l’argent plus ou moins facile, l’accumulation des profits, ceux qui sont certains qu’un être humain ne peut en égaler un autre.

Cette pièce est une commande de la compagnie Hercub’, qui crée donc ce texte ici au Théâtre de Belleville.
Gilles Granouillet pourrait ici se situer en digne héritier spirituel de Michaël Vinaver, celui qui a tant écrit pour le théâtre à propos du monde du travail et de l’entreprise.

Avec sa capacité à mettre en œuvre un style très contemporain, avec nos propres mots de tous les jours, des mots qui nous sont souvent jetés à la figure, avec des formules coup de poing, l’auteur a concocté cette fois-ci une histoire d'humanité retrouvée.
Des personnages vont être amenés à se questionner sur leur place, sur le sens de leur métier et surtout leurs propres valeurs.

De fait, ce vigile surdiplômé et donc sous-employé nous questionne nous-mêmes sur notre approche de ces deux valeurs que sont la solidarité et la fraternité.
Il était une fois des êtres humains qui finalement arrêteront d’accepter l’inacceptable.

L’auteur nous parle également peinture, comme pour mettre en abyme une belle parabole.
Celle de La Vocation de saint Matthieu (en italien : Vocazione di san Matteo), un tableau de Caravage, peint entre 1599 et 1600 pour la chapelle Contarelli de l’église Saint-Louis-des-Français, où il est conservé depuis.

Saint Matthieu, le patron des percepteurs, des comptables, des fiscalistes, des agents des douanes et des banquiers.
Des gens qui manient l’argent…
Le verrons-nous sur scène, ce Saint-Matthieu-là ?
Allez donc savoir...

Les membres de la compagnie Hercub’ ont donc pris bras le corps ce nouveau texte granouillesque, pour en tirer un formi
dable spectacle, de ceux dont le fond rejoint la forme en terme de totale réussite.

Tout commence et tout finira par une adresse des comédiens au public, un petit laïus qui plante le décor, prétexte à une sorte de réjouissant "meta-théâtre", et qui nous fait réfléchir sur le monde du spectacle
et sur ce que nous allons voir ou nous avons vu.

Mis en scène par Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland, Erine Serrano et Philippe Awat au sein de deux espaces distincts, vont incarner les cinq personnages de la pièce.
Deux espaces bien précis
: à jardin, un bureau sur lequel est posé un ordinateur portable, et plus à cour, une structure mobile faite de lamelles transparentes évoquant les autres lieux où se déroulera la pièce.)
Sobriété et efficacité.

Bruno Rochette et Sylvie Rolland, irréprochables, incarnent respectivement ce vigile-père-célibataire et cette enquêtrice qui tous les deux devront faire un choix.
La comédienne et le comédien nous tiennent en haleine en permanence. Il est impossible de ne pas se projeter dans leur personnage. Que ferions-nous à leur place ?

Je vous rappelle que nous les avions rencontrés en compagnie du même metteur en scène Michel Burstin dans Projection privée, de Remi de Vos, autre auteur atypique français.

Suzanne, c’est Erine Serrano.
L’épatante Erine S
errrano !
La jeune comédienne, avec une vraie fraicheur, une justesse magnifique et un engagement total,
(la réciproque est également vraie), incarne cette jeune Suzanne, celle qui sera le déclencheur de bien des décisions cruciales.
Mademoiselle Serrano crève le plateau à chaque apparition !

Photo Y.P.

Et puis Philippe Awat, dans son double-rôle « symétrique », aura finalement le dernier mot.
Oui, Gilles Granouillet estime que la rédemption concerne chacun de nous.
Philippe Awat lui aussi nous captive, et nous fait
beaucoup rire de par sa faconde et sa vis comica. (La vanne sur le nombre 13 est drôlissime, et non, je n’en dis pas plus !)

© Photo Y.P.

Je vous conseille plus que vivement cette plongée dramaturgique dans le monde du travail. Un moment de théâtre qui nous enjoint de ne pas accepter la fatalité distillée par certains, qui nous propose de relever la tête, et qui nous rappelle deux des plus belles valeurs humaines.
Un spectacle maîtrisé de bout en bout. un spectacle nécessaire, par les temps qui courent !
De ceux qu'ils faut aller voir, même si l'on est un Stéphanois teigneux !

© Photo Y.P.

 

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