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Le bétin

© Photo Y.P. -

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La lune a rendez-vous avec le soleil.
En ce 10 août 1999, l’obscurité due à l’éclipse totale du soleil va priver de lumière ceux qui assistent à cet événement.

Pour autant, dans l’âme et le cœur de certains, cette obscurité va coïncider avec la mise en lumière d’un douloureux passé.

Nous voici donc, non pas au Pérou avec Monsieur Tintin dans son Temple du soleil, mais bien à Reims avec Axel et son amoureuse Claire, chaussés de lunettes fumées. Axel, qui refoule son enfance, va enfin pouvoir mettre des mots sur de multiples traumatismes.

 

Olivier Lusse Mourier a écrit cette pièce, inspiré de son livre du même titre et paru aux éditions Maïa en 2021, un texte qui aborde un sujet déchirant, une problématique trop souvent passée sous silence. Ce silence qui permet à la pédocriminalité et donc à la pédophilie de perdurer au sein des familles. C’est en effet à l’intérieur du cocon familial que, de nos jours encore, des enfants sont violentés et abusés.

 

À Reims, en patois champennois, un bétin est un imbécile, un abruti, un faible d’esprit.

Axel est ce bétin-là, petit garçon dans les années 70.

Axel est un souffre-douleur : une mère issue de l’Assistance Publique, trop jeune pour être maman, complètement dépassée, entièrement soumise à son mari, militaire de carrière, ayant connu (et probablement pratiqué) les horreurs de la guerre d’Algérie, alcoolique au plus haut point.

 

Devenu adulte, Axel est victime d’une amnésie post-traumatique. Pour tenter d’aller mieux, il s’adresse au Docteur Sales, psychanalyste, à qui il va se confier pour un voyage introspectif.

Et nous, d’assister à ces séances où la parole va révéler graduellement les violences et l’innomable que le petit garçon, ce Bétin martyrisé, a dû subir.

 

Sans pathos de mauvais aloi, avec des mots d’une incroyable justesse, et une puissance dramaturgique de tous les instants, Olivier Lusse Mourier nous raconte une histoire vraie. L’une de celles qu’il importe de ne surtout pas taire.

 

Le Bétin, nous le verrons dès notre entrée dans la salle. Un pantin qui nous fixe de ses grands yeux clairs. L’impression est saisissante.

Nous comprendrons très vite que Thomas Priscoglio incarnera Axel et que ce pantin situé en devant de scène le ramène à son douloureux Moi enfant.

C’est une voix off qui nous dira les mots de cette marionnette.

 

Le comédien va se montrer bouleversant, en prenant ce rôle ô combien difficile à bras le corps. Nous sommes suspendus à ses dires, lui qui raconte un épouvantable jeune destin, ne nous épargnant aucun détail concernant les maltraitances subies.

Sous la direction de l’auteur-metteur en scène, il a su placer son curseur à l’exacte position. Nous souffrons avec son personnage.

Une très grande interprétation.

 

Madame Sales, celle qui déclenche la maïeutique rédemptrice, c’est Bérengère Dautun.

L’ex-Sociétaire de la Comédie-Française est bouleversante d’humanité. Comme on aimerait se confier à une telle psychanalyste !

La comédienne nous bouleverse elle aussi.

Ses questions, ses relances, ses silences, son regard, son écoute et sa tendresse vis à vis de son patient sont merveilleux de justesse et nous émeuvent également au plus haut point.

 

Ce sont la comédienne et le comédien qui font avancer la narration et nous font comprendre par leur jeu d’une bouleversante intensité que cette histoire pourrait bien être autobiographique.

Pourrait bien ? Elle l’est.

© Photo Y.P.

 

Trois autres comédiens, tout aussi irréprochables incarnent les autres personnages.

Maurine Dubus est « Elle ». La mère.

La comédienne joue ce rôle avec une froideur et une violence psychologique glaçantes. Elle parvient à rendre toute la complexité de cette femme qui a elle-même connu une enfance très difficile. Son personnage nous fait comprendre le caractère hélas reproductible des maltraitances infantiles.

© Photo Y.P.

 

« Il », le père, c’est le remarquable Antoine Gatignol.

Lui, c’est la violence physique qu’il joue avec un engagement total. Il est également tout à fait crédible dans ce rôle de rampouille ivrogne qui agresse, qui humilie et qui va souiller moralement et physiquement son fils.

Le comédien excelle dans la peau de ce personnage sans jamais tomber dans la caricature.

 

Et puis Manon Potier est Claire, l’amoureuse.

Elle aussi est parfaite. Elle contribue à donner beaucoup d’oxygène au propos.

 

La dimension corporelle va revêtir une grande importance dans ce spectacle.

Le personnage d’Axel étant danseur, nous allons découvrir un certain nombre de chorégraphies très réussies et participant pleinement à l’avancée de la narration.

En ce sens, le corps a presque autant d’importance que la parole. Les deux se libèrent devant nous, dans une sorte de symétrie très convaincante.

 

C’est également un spectacle qui s’écoute avec une grande attention. Les voix off, bien sûr, mais aussi une création musicale très réussie avec une bande-son faite de bruits, mais aussi de sons réverbérés ainsi que des extraits de tubes des années 70 qui créent d’appréciables respirations, nous permettant de reprendre nos esprits.

 

Vous l’aurez compris, je vous conseille vivement d’assister à ce spectacle qui nous parle de résilience face à un fléau qui concerne des millions d’enfants de par le monde.

Nous sortons de cette heure et demie de très beau théâtre très émus et convaincus, s’il en était encore besoin, du pouvoir de la parole qui libère.

 

Bon, on va s’arrêter là pour aujourd’hui...

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