4 Avril 2025
Prononcer « Baker » ! Et non pas « Bèker ».
Elle y tenait beaucoup ! Pour dire son attachement à Paris, à la France, et au rejet partiel de ses racines américaines, elle qui avait connu la discrimination et le racisme.
Elle, elle nous quittait voici pratiquement cinquante ans, à quelques jours près.
C’est donc à Joséphine Baker que le Hall de la Chanson, le Centre national du Patrimoine de la Chanson, des Variétés et des musiques actuelles, rend un très bel hommage.
Ici, spécificité des lieux oblige, c’est bien par le biais de la chanson que sera retracée la vie et l’œuvre de la chanteuse, grâce à onze tableaux très réussis.
Qui dit tableaux, dit notamment revue de music-hall.
C’est donc à une véritable revue que nous sommes conviés, avec ses musiciens qui jouent en direct, ses chanteuses et ses chanteurs, ses danseuses, ses strass, ses paillettes, ses costumes de scène ajustés et ses accessoires de scènes plus ou moins sophistiqués.
C’est Serge Hureaux et Olivier Hussenet, respectivement directeur et directeur-adjoint des lieux, qui se sont chargé de mettre en forme et en scène ce spectacle.
Sans temps mort, avec beaucoup d’énergie, dans l’esprit du pur music-hall traditionnel, avec ses codes et ses habitudes artistiques.
Et puis surtout avec des parti-pris fort judicieux qui fonctionnent à la perfection.
Tout d’abord, les différents tableaux, tous identifiés par une couleur, ne restituent pas la vie de Joséphine Baker de façon chronologique. Ici, il est question de laisser au spectateur la possibilité de tout remettre dans l’ordre. (Des dates projetées aident toutefois à ce petit exercice…)
Ce n’est pas un spectacle biographique à proprement parler, mais bien un hommage musical consacré aux différentes chansons qui ont fait le succès de la chanteuse.
Bien entendu, les grands épisodes de sa vie (l’enfance, la jeunesse, les différents engagements politiques et militaires, le succès, les douze enfants qu’elle a adoptés), tout ceci est beo et bien évoqué.
Il n’y aura pas une seule interprète de mademoiselle Baker.
Les cinq principaux chanteurs/chanteuses chanteront à différents moments ses grands standards. Oui, même des garçons. Tout ceci ne gêne pas du tout le propos général.
Au contraire, cette volonté permet d’importants changements de costumes, tous plus réussis les uns que les autres.
Aucune gêne, donc, d’autant qu’une belle distribution et de grands moments musicaux nous attendent , notamment grâce à Yasmine Hadj Ali (qui jouait dans le merveilleux spectacle La vie secrète des vieux, de Mohamed El Katib), Pierre Lhenri, Mathilde Martinez et Lymia Vitte qui nous enchantent grâce à leur talent, leurs voix et leurs belles tessitures respectives, ainsi que par leur capacité à donner corps et vie à ces chansons, ces petits moments de vie tenant en trois minutes.
Une belle cohésion règne sur le plateau, on sent que tous s’amusent. Des titres sont remarquablement chantés, comme cette version de Sonny Boy en close harmony, Nuit d’Alger et Amazing Grace (par Yasmine Hadj Ali), Bye Bye Blackbird et le désopilant Voulez-vous de la Canne à sucre (par Pierre Lhenri), une version rap formidable de J’ai deux amours (par Mathilde Martinez) ou encore Ram Pam Pam (par Mathilde Martinez).
Cette version rap du plus grands succès de Joséphine Baker démontre la possibilité et la nécessité d'adapter, de ré-arranger des chansons, afin de les faire vivre et de faciliter leur transmission.
Tous les artistes sont également des danseurs accomplis.
On sent évidemment de solides formations dans différentes écoles, dont celle du Hall de la chanson.
Les chorégraphies de Valérie Onnis reprennent bien évidemment celles que l’on connaît, les originales vue et revues dans différents émissions et documentaires.
Pour autant, elle a su insuffler une force et une intensité à de nombreux passages.
Ici, avec ces danses, on vibre, on a nous aussi envie de bouger.
La musique est interprétée en direct par un quatuor de musiciens eux aussi fort talentueux.
A la direction musicale et aux différentes guitares, l’arrangeur-compositeur (et enseignant) Vladimir Médail a su restituer les paysages sonores propres au style de Joséphine Baker.
Les chansons « exotiques », mais aussi celles qui relèvent du jazz « pur et dur » sont toutes très réussies.
Sylvain Dubrez à la contrebasse, Clément Simon au piano et Nicolas Grupp à la batterie et aux percussions complètent le groupe. Ca balance, ça swingue, les tangos, boléros et rumbas langoureux sonnent parfaitement.
Les quatre musiciens seront beaucoup applaudis, lors de leurs solos respectifs.
La création vidéo de Daniel Marino participe elle aussi à la réussite du spectacle.
Projetées à jardin, à cour et au lointain sur des pendrillons de fines lanières, les images d’archives nous sont montrées traitées de façon saturée par un progiciel graphique.
Ces images apparaissent ainsi dans le couleur de chaque tableau.
Là encore, l’effet est très réussi, et beaucoup d’informations nous sont communiquées par ce biais.
Les belles lumières de Jean Grison, avec bien entendu le rond généré par un projecteur de poursuite, nous plongent elles aussi dans cet univers particulier du music-hall.
Vous l’aurez compris, ces deux heures constituent une formidable et épatante manière de rendre hommage à cette artiste et femme d’engagement, descendante d’esclaves noirs entrée au Panthéon en 2021.
Il faut aller découvrir ce spectacle qui vous donne immanquablement envie d’aller retrouver sur les plate-formes de streaming Joséphine Baker.
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Il est à noter qu’en première partie, des élèves du Lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers montèrent sur scène pour interpréter deux chansons, J’ai deux amours et nuit d’Alger, avec beaucoup d’enthousiasme et de conviction.
Le public était particulièrement ravi d’assister à ce trop court moment de grâce.
Il est rassurant de se rendre compte que la transmission culturelle et artistique fonctionne, grâce aux Enseignants et à la volonté farouche en la matière du Hall de la Chanson.