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Pelléas et Mélisande

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Que d’eau, que d’eau !

 

Maeterlinck, Debussy, Mouawad…

L’aquatique et lumineuse noirceur de la passion.

 

À l’Opéra Bastille, est donnée une version sombre mais fascinante du seul opéra écrit par Claude Debussy.

On sait, évidemment, quelle place importante tient l’eau dans l’œuvre du compositeur.

Nul doute que le thème liquide contenu dans le poème de l’auteur belge Maurice Maeterlinck aura été prépondérant dans la volonté debussienne d’en tirer une œuvre lyrique.

 

Tout commence dans la forêt. Même avant le début de l’ouverture.

Wajdi Mouawad n’hésite pas à démarrer sa mise en scène avant même les premières notes.

 

Une forêt sombre, mystérieuse, à l’humus en décomposition. Une mare étrange, presque immatérielle.

Tout se passe au lointain, sur le gigantesque écran où seront projetées les images saisissantes et les travellings presque imperceptibles de Stéphanie Jasmin. Des images qui tout au long de l’opéra tiendront lieu de décor principal.

 

L’eau. Et la Mort. Omniprésente elle aussi.

Un sanglier atteint par une flèche fatale. Celle de Golaud.

La rencontre peut avoir lieu, avec l’héroïne. Mélisande, sortie d’on ne sait où, qui ne veut pas qu’on la touche, et qui nous rappelle que tout le monde lui a fait du mal.

Maeterlinck ne s’éternise en terme d’explications traumatiques.

 

Très vite, nous allons nous apercevoir que cet écran est constitué de fines lamelles de tissu réfléchissant qui va permettre aux chanteuses et chanteurs de traverser l’image, donnant ainsi l’impression de se fondre dans les éléments, dans les paysages.

 

La mort, donc.

La mort inéluctable, presque programmée des deux héros, qui semblent tenir pour acquis, dans cette mise en scène, que tout est joué d’avance, dans un implacable destin.

Durant tout le spectacle, nous comprendrons que la Camarde est omniprésente, grâce à une personnalisation du patron de la Colline : trois personnages anonymes, à l’allure des Trois Brigands de Tomi Ungerer, viennent déposer, voire éviscérer, des dépouilles de gros gibiers. Les amateurs de boyaux et de carcasses pourrissantes se régalent.

 

Les différentes actions sont principalement reléguées juste devant l’écran, sur trois larges podiums mobiles à hauteur variable.

Le devant de la scène accueillera quant à lui quelques scènes les plus dramatiques et importantes.

 

Wajdi Mouawad réussit à aller à l’essentiel du poème, à savoir montrer la prépondérance des deux thèmes évoqués ci-dessus mais également, de nous proposer une épure, allant chercher dans le texte et la musique des mots et des notes la quintessence de l’œuvre de Maeterlinck.

Presque comme une version psychanalytique, avec ces corps qui refusent de se toucher, avec ce cauchemar où un enfant assiste à un meurtre, avec ce monde où la violence semble régner en maîtresse, avec ce questionnement permanent de Mélisande quant à la quête du bonheur.

 

Il réussit parfaitement à souligner les contrastes omniprésents de l’œuvre : jour / nuit, lumière / obscurité, violence / empathie, extérieur / intérieur, vie / mort, tristesse / bonheur…

Sa vision liquide de la mort est de toute beauté. L’occasion de saluer une nouvelle fois les images à la fois oniriques, réalistes et très signifiantes de Stéphanie Jasmin.

 

Nous sommes en permanence dans un entre-deux, où mélancolie et romantisme sont les maître-mots de ce drame symboliste.

 

Antonello Manacorda, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, a su tirer le meilleur de la partition qu’il connaît à la perfection.

Un remarquable équilibre règne entre les différents pupitres, conférant à la musique de Debussy une clarté, une précision de tous les instants.

Une belle fluidité, et à la fois une réelle épaisseur de la pâte sonore nous ravissent.

 

D’autres, qui vont nous enchanter, ce sont les interprètes lyriques de cette entreprise artistique.

 

À commencer par Sabine Devieilhe qui incarne une Mélisande mystérieuse, énigmatique au possible.

La chanteuse impressionne dans ce rôle très difficile. Le timbre de la soprano, la justesse de son interprétation, nous font croire tout à fait à la fragilité et à l’ambiguïté du personnage.

Elle sera très applaudie et ovationnée dès sa première apparition aux saluts.

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Pelléas c’est Huw Montague Rendall. Le baryton retrouve les plaches de l’ONP après son Papageno en 2022 et son Mercutio en 2023.

Le chanteur cultive aussi parfaitement le mystère de ce prince, demi-frère de Golaud, l’héritier du royaume d’Allemonde interprété quant à lui par le baryton-basse Gordon Bintner.

Les deux sont eux aussi parfaits et complémentaires. Ils incarnent avec conviction l’antagonisme amoureux envers Mélisande.

 

Jean Teitgen, bien connu des lecteurs de ce site, est Arkel, le souverain vieillissant du royaume.

Une nouvelle fois, il nous enchante de son timbre de basse si profond, si rond, si chaud.

Il donne à son personnage un caractère certes hiératique mais ô combien humain. On aurait envie d’avoir un tel grand-père, affectueux avec la femme de son petit fils.

Celui qui fut un grand Zarastro en 2024, prouve encore et s’il en était besoin qu’il est une des plus grandes Basses françaises du moment.

On ne perd pas une miette des mots chantés dans des mélodies et des intervalles caractéristiques de cette musique française du début du XXe siècle, tant leur diction est limpide et quasi naturelle.
On notera, au passage, le recours à un procédé qui intègre très judicieusement et élégamment les sous-titres aux projections vidéos qui ont lieu sur scène et qui permet de lire, s’il en est besoin, le texte en ne décrochant pas une seconde de la poésie qui s’offre à nos yeux. Ceci participe aussi pleinement à garder chez-nous autres, spectateurs, une attention de tous les instants.

Il faut préciser qu’à chaque représentation, c’est un petit soliste de la Maîtrise de Radio-France qui incarne Yniold, le fils de Golaud, né d’un premier mariage.
 

La production recevra des salves d’applaudissements nourris, ainsi que de très nombreux et très sonores « bravo ». Ce ne sera que justice.

Les trois-heures vingt-cinq, entracte compris, de ce drame en cinq actes filent à toute vitesse, sans temps mort, sans artifices superficiels, pourtant à la mode, et surtout en nous rappelant combien Debussy a su magnifier la poésie de Maeterlinck.

 

On sort de l’Opéra Bastille sous le charme de cette mise en scène à la fois très subtile et captivante.

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