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Les femmes de Barbe Bleue

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Quand il les prend dans ses bras, elles voient la vie en bleu…


La question est de savoir pourquoi elles y vont, dans ces bras-là, ceux d’un certain Barbe Bleue…
Parce qu’au fond, c’est vrai quoi, rien ne les obligeait à se servir de la petite clef et de pénétrer dans le cabinet du sérial killer, le ci-devant Gilles de Rais, compagnon de route d’une certaine Jeanne D’Arc.

Huit ans après sa création, huit ans après le début du mouvement #MeToo, Lisa Guez a jugé bon de proposer une version légèrement modifiée de ce spectacle. « Une nouvelle version », peut-on lire en page de garde du texte réédité chez L’Oeil du Prince.

Comme elle a raison, Mademoiselle Guez, de nous montrer que la question fondamentale de la pièce doit être encore et toujours posée !

Pourquoi certaines femmes se jettent-elles dans les bras de prédateurs sexuels, pourquoi certaines sont attirées par ceux qui finalement abuseront d’elles, d’autant que bien souvent, celles-ci ont l’intuition que l’histoire finira mal.

Certaines histoires d’amour finissent encore plus mal que d’autres, en général.

 

Ce propos, l’actualité la plus brûlante l’aborde : Dominique Besnehard, auditionné voici deux jours, mettait les pieds dans le plat, même maladroitement, en affirmant que « certaines actrices dépassaient un peu les bornes ».
« Généralement, les cours de théâtre, on les fait dans un cours de théâtre, on ne va pas à domicile chez un acteur », en guise de démonstration… Dans le métier, personne ne pouvait ignorer certaines réputations...
Et je referme ma parenthèse.


Sous la direction de Lisa Guez, l’écriture collective des cinq comédiennes Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre, cette écriture nous dépeint cette faculté qu’ont certaines (et sans doute certains) à se retrouver en proie à une dramatique domination.

 

Revisitant le célèbre conte de Charles Perrault, elles nous présentent cinq femmes, qui chacune se sont jetées dans les griffes d’un monstre.

Elles en sont mortes. Elles nous racontent.

Et au passage, nous donnent des tuyaux pour éviter, nous aussi, de tomber dans le piège.

 

En décembre dernier, Lisa Guez enchantait les spectateurs du Théâtre de la Ville avec son très remarqué et très réussi Psychodrame. L’idée était de faire revivre des scènes traumatiques à des patientes plongées dans une profonde détresse.

Et nous de comprendre que cette idée était déjà bel et bien là dans les Femmes de Barbe Bleue.

 

Au fond, chacune des héroïnes de ce spectacle créé en 2017, va se livrer à son propre psychodrame, va revivre son histoire, entourée de ses consœurs, aptes à la conseiller, elles qui ont vécu le même enfer.

 

Nous allons nous passionner à suivre chaque petit conte, chaque histoire personnelle, chaque drame intime.

Chaque comédienne a pu développer son personnage.
Ici nous allons à la fois frissonner, être sidérés par les faits énoncés, mettant en jeu des rapports de domination, puis, un assassinat pur et simple : la métaphore est comprise de tous, les autrices nous parlent bien d’agressions sexuelles et de viols, tout comme finalement Bettheleim analysait le conte de Perrault.

 

Mais nous allons beaucoup rire également.

Les actrices ne ménagent ni leur peine, ni leur énergie.

Toutes sont dotées d’une sacrée palette de jeu : en une seconde on passe du tragique le plus noir au comique le plus abouti.

 

D’épatantes scènes de comédie nous attendent. Comme par exemple un certain repas entre « La Belle » et « La Bête », un portrait aux petits oignons d’une certaine nymphomane ou encore une scène torridement drôle.

 

Mademoiselle Guez réussit dans sa mise en scène à mettre en avant à la fois une vraie sensualité et un climat glaçant et angoissant. Voici déjà huit ans, elle parvenait parfaitement à changer de paradigme et de prisme.

Dans cette entreprise artistique elle changeait de focale de manière magistrale, démontrant ce passage du sentiment amoureux au drame.

 

Tout repose également sur une judicieuse économie de moyens. Sur le plateau, pas de décor, pas d’accessoires. Seuls cinq sièges, tous différents, et pourtant ayant la même fonction, nous attendent sur scène. Ce sera tout, le texte et les comédiennes se chargeant du reste.

 

Des comédiennes dont la complicité, la cohésion, et ce dans un magnifique esprit de troupe, sont en permanence mises en évidence.

 

En une heure et vingt-cinq minutes, la démonstration est on ne peut plus convaincante.

Et les Initials B.B. du regretté Serge Gainsbourg de résonner pleinement à travers la belle et très subtile création musicale d'Antoine Wilson et Louis-Marie Hippolyte.

Ce spectacle, brillant, d’une intelligence rare, est de ceux à côté desquels il ne faut surtout pas passer.

Ne manquez pas d’aller découvrir cette nouvelle version de cette pièce qui contenait déjà ce qui me fait dire aujourd’hui que Lisa Guez, portée par sa compagnie 13/31, est l’une de nos plus importantes dramaturges contemporaines.

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