9 Mars 2025
Fais comme l’oiseau…
Comme les oiseaux !
Les gros camions et le chapiteau du Théâtre des Frères Forman nous attendent, imposants et majestueux, à côté de la Scène nationale de Sénart.
La compagnie tchèque poursuit en effet sa dernière tournée européenne en date avec un nouveau spectacle.
Cette fois-ci, nous avons rendez-vous avec l’œuvre du poète persan Farid al-Din Attar (1145-1221).
Un conte allégorique, philosophique, qui va nous tendre un miroir et nous proposer de réfléchir au sens de notre propre existence.
Au fond, ces oiseaux qui se réunissent et décident de partir à la recherche de leur roi afin de restaurer la paix et la tranquillité dans le monde, ces oiseaux-là nous invitent à plonger en nous-mêmes afin de nous proposer d’entamer notre propre quête de sens.
Nous pénétrons dans ce chapiteau spécialement créé pour l’occasion. Chaque spectateur a pu choisir au préalable un masque en carton représentant les différentes espèces d’oiseaux.
Nous sommes accueillis par un gros corbeau battant des ailes et croassant à qui mieux-mieux. Des personnages au visage recouvert d’une prothèse et aux longs cheveux nous invitent à continuer dans une sorte d’antichambre mystérieuse.
Un éclairage tamisé, des lampes orientales, un parfum d’encens, un petit labyrinthe à traverser, et nous nous asseyons sur les gradins, sous un ciel fait de tapis orientaux.
Sur un scénario de Petr Forman, Ivan Arsenjev et Jean-Claude Carrière, le spectacle peut débuter.
Une voix reconnaissable entre toutes monte des enceintes acoustiques.
Celle de Denis Lavant, qui sera le narrateur de l’histoire.
Les personnages, convaincus de ce que raconte ce narrateur-là, vont entreprendre de se changer à vue. Ou tout du moins dans des sortes de petites cabines individuelles aux parois réfléchissantes.
Oui, nous autres spectateurs, nous nous verrons. L’effet miroir ne sera pas que métaphorique.
Les oiseaux, les voici.
La huppe, le canard, le paon, la chouette, la pie, et autres volatiles.
Dans les costumes magnifiques de Katarina Stefkova, mis en mouvement par Omar Carrum, les comédiens-circassiens peuvent évoluer devant nous, et au sein de la remarquable scénographie de Josef Lepsa.
Une scénographie qui va mobiliser à la fois des éléments tout simples, comme des éléments mobiles sur roulettes, deux niveaux de plateaux, une piste presque circulaire, mais qui va faire appel également à des technologies numériques et de projections de mapping video importantes sur d’innombrables lamelles de tissus réfléchissant.
C’est le mélange de ces deux univers qui va nous plonger dans un monde onirique et fantastique.
Ces oiseaux, nous les verrons s’envoler, nous les verrons quitter leur forêt pour atteindre la canopée et nous les accompagnerons en vol pour atterrir dans une contrée mystérieuse où ils comprendront qui est vraiment ce roi qu’ils doivent trouver.
Le procédé de mapping, utilisé à très bon escient, nous fascine littéralement. C’est magnifique !
Etant très proches des gigantesques images projetées, nous avons le sentiment d’entreprendre nous aussi ce vol et d’évoluer dans les airs en compagnie des oiseaux.
L’effet produit est très impressionnant, d’autant que la musique de Simone Thierrée, lyrique et grandiose, accompagne ce voyage initiatique.
Petit à petit, le paysage devient complètement abstrait, nous perdons nos repères au sein de ces espaces graphiques très sombres qui défilent devant nous.
Là encore, l’effet recherché est saisissant. Nous ne savons plus où nous sommes, comme les personnages de l’histoire.
Bien entendu, les artistes issus de multiples pays, participent eux aussi pleinement à la réussite de ce spectacle unique en son genre.
Des comédiens-danseurs-acrobates-équilibristes qui adoptent chacun et chacune une démarche et une gestuelle évoquant chaque espèce ornithologique.
Ils apparaissent au sein d’une belle murmuration, produite par des miroirs utilisés très intelligemment.
Certains sont pourvus de micro HF et participeront à la narration.
Ces oiseaux seront pratiquement toujours en mouvement. Des chorégraphies originales permettent de créer cette impression de vol permanent. Un véritable tourbillon.
Lors du dernier tableau, c’est pourtant au sol, en contre-jour, qu’une sorte de danse étrange sera entamée.
Et nous de comprendre…
Une véritable ovation sera réservée aux artistes et techniciens chargés des changements de décors.
Des gradins du chapiteau monte un tonnerre d’applaudissements rythmés.
Il faut assister à ce spectacle d’une incroyable et sidérante beauté. Nous sortons du lieu un peu désorientés, sous le coup de ces très belles émotions générées durant ces quelque quatre-vingts minutes de poésie, d’onirisme et de lyrisme.
C’est une formidable et fascinante réussite, tant sur le fond que sur la forme.