11 Mars 2025
Famille, je vous hais-me !
Au théâtre 13-Bibliothèque, dans un réjouissant et très réussi spectacle, tant sur le fond que sur la forme, Alice Sarfati nous propose de nous plonger dans l’univers familial, avec ses traumatismes d’enfants et d’ados, avec ses non-dits, avec ses turbulences, sans oublier ses histoires plus ou moins sordides.
Et ce, à travers le concept de constellation.
Une forme de thérapie brève, permettant de se réconcilier avec son histoire familiale, permettant de revivre certaines cruciales de sa propre vie ou d’un ancêtre plus ou moins éloigné.
Nous pénétrons dans la salle.
Sur le plateau, un homme nous attend, balayant le sol, passant un petit coup de serpillère, installant six chaises en arc de cercle, en prenant tout son temps.
Nous allons faire la connaissance de Franck, une sorte de « thérapeute-gourou-un peu charlatan sur les bords » qui accueille cinq personnes, dans un atelier mettant justement en œuvre un travail de constellation.
L’auteure Sarfati et ses coémdiens vont beaucoup nous faire rire.
Les comédiens vont s’en donner à cœur joie à camper ces personnages caricaturaux, donnant parfois presque dans la dimension de la farce.
Tous ne vont pas ménager leur peine, et leur engagement sans faille au service du texte et du propos.
C’est ainsi que Matthias Jacquin incarne ce Franck avec un humour pince sans-rire épatant.
C’est injonctions, ses remarques, ses ruptures sont épatantes. Nous nous amusons énormément à suivre ce type chargé de faire rejouer et donc revivre à chacune de ses ouailles une scène de son choix.
Ses « Ouiiiiiii, c’est ça, assume, ça a déjà commencé, supeeeeeeer, Ok ! » dits d’une petite voix pleine d’enthousiasme sont jubilatoires.
Les autres ne laissent pas leur part pour nous dérider. Margot Alexandre, Margaux Grilleau, Sylvère Santin et Vincent Steinebach utilisent également leur épatante vis comica pour camper des personnages très hauts en couleur.
Et puis, embarqués que nous sommes dans cette séance dite thérapeutique, nous allons découvrir Jeanne, incarnée de la plus brillante des façons par Juidith Zins.
Jeanne a perdu voici quelques temps sa mère. Elle est donc totalement désemparée, sans aucun doute souffrant d’un symptome dépressif.
C’est ce personnage très finement abordé que ce soit par l’auteure ou Mademoiselle Zins, qui va voir son histoire décortiquée durant la majeure partie de la pièce.
Nous ferons donc connaissance avec sa mère, son père, ses demi-frère et demi-sœur, ainsi que l’ami de la famille.
Il serait intéressant de savoir si cette famille-là a été totalement imaginée ou si Alice Sarfati et l’écriture plateau qui a également abouti au texte finale ont puisé dans leur vécu personnel.
La forme du spectacle va se révéler également formidable.
Ici, il sera question, comme dans Rashomon, de Kurosawa, ou plus récemment du merveilleux et médiéval Le dernier duel, de Ridley Scott qui avouait avoir usé du même procédé que son aîné, il sera question de vivre plusieurs fois la même scène traumatique de multiples manières, selon que tel ou tel personnage la vivra.
Comme revivre différemment un même moment narratif.
La mécanique sera très parlante et très efficace.
Cette scène d’attente dans un couloir d’hôpital, cette autre dans le bureau d’un notaire, tout ceci sera joué de différents manières, selon que tel ou tel participant de la constellation aura décidé de « mettre en scène » sa vision.
C’est ainsi que nous aurons des versions softs, d’autres plus étonnantes, comme celle du théâtre dans le théâtre, ou encore une drôlissime version comédie musicale, qui fait fonctionner les zygomatiques des spectateurs à plein régime.
Nous rions beaucoup, mais nous n’oublions jamais le propos initial.
Judith Zins incarne cette jeune femme avec une intensité et un jeu souvent bouleversants. On croit tout à fait à ce personnage qui a été en quelque sorte évincée au sens propre comme au sens figuré de sa famille.
On s’attache énormément à cette Jeanne-là.
La création lumière de Karl Ludwig Francisco participe pleinement à la réussite de l’entreprise artistique, avec des découpes géométriques, qui permettent de visualiser les différents espaces de la pièce.
Pierre Cohen signe quant à lui une très belle et très subtile bande-son. Il faut souvent s’astreindre à écouter attentivement ce qui est diffusé dans les enceintes acoustiques.
Les amateurs de Michel Berger se régalent eux aussi, au passage !
Je vous conseille donc vivement ce spectacle très réussi, au risque de me répéter tant sur le fond que sur la forme.
Alice Sarfati persiste et signe : après son prix du Théâtre 13 en 2021, elle revient dans ces mêmes lieux avec une heure et quarante minutes d’un très beau, très pertinent et très abouti théâtre.
Lauréate du Prix T13 2021, Alice Sarfati revient avec sa nouvelle création, un spectacle sur la famille, en interrogeant une nouvelle forme pour la raconter : les séances de constellation familiale