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Le journal

© Photo Y.P. -

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© Béatrice Livet

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Paraître ou ne pas paraître ?
Telle est la question…

Faire paraître un article ou pas ?
Une question qui va se poser au patron du Journal, cet organe de presse écrite redouté par tous les pouvoirs en place, par tous les oligarques, apparatchiks et grands patrons de notre vieux pays.
Edmond est ce journaliste intègre, indépendant, libre, qui pourrait en remontrer à Edwy Plenel, le co-fondateur de Mediapart.

Edmond, cet intransigeant journaliste, est sur le point de sortir un papier révélant que Jacques Flamm, le ministre des Outre-mers a « oublié » de déclarer à la Haute-Autorité pour la Transparence de la Vie publique des actions dans une rhumerie martiniquaise. (Si c’est du Neisson, c’est que le ministre a très bon goût. Et non, je ne suis pas sponsorisé…)

Parallèlement Edmond a une fille. Il apprend qu’elle vient d’être incarcérée dans une geôle indonésienne, que l’on devine peu réputée pour sa convivialité.

Un cas de conscience se pose à lui : le ministre Jacques Flamm sus-nommé est seul en capacité de faire sortir sa fille.
Que faire ?

Antoine Beauquier a écrit un passionnant et très efficace thriller politico-médiatico-financier, qui va refléter à le perfection notre franchouillarde société, où s’agitent des hommes politiques cyniques et corrompus, des grands patrons affairistes sans scrupules. De modernes et contemporaines liaisons dangereuses...
Sous sa plume, de belles et percutantes formulaires nous enchantent tout au long du texte.

Par ailleurs, il nous entraîne dans les coulisses d’une presse indépendante et intègre (oui, ça existe encore…).
Que peut-il vraiment, Edmond, pétri des meilleurs sentiments, entièrement dévoué à la cause journalistique, étranger à toute compromission face à ce monde de requins sans scrupules, prêts à toutes les machinations pour le faire taire ?
Edmond qui n’est qu’un homme, après tout, avec ses propres tourments et contradictions. (Et je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler...)

Durant pratiquement une heure et trente minutes, va régner sur le plateau de la salle Réjane du Théâtre de Paris un vrai suspens, un peu comme dans les films d’Yves Boisset, ou du Henri Verneuil d’I comme Icare, dans lequel ce suspens est au service d’un vrai propos humaniste pris dans les rets d’une société impitoyable.

Bien connue des lecteurs de ce site, Anne Bouvier assure une mise en scène à la fois on ne peut plus précise et sans aucun temps mort.
Chaque placement et déplacement des comédiens semble ne pas pouvoir être traité d’une autre manière.
Tout est limpide, comme allant de soi, ce qui est le signe des grandes réussites.

Elle a eu la bonne idée de diviser son plateau en trois parties.
A jardin, la cellule indonésienne, à cour les ors de la République, et au centre de la scène, un espace de jeu important, avec au lointain l’immeuble imposant du Journal.
Ici, la direction d’acteurs est on ne peut plus pertinente.
On est en permanence saisit par la force et la véracité des affrontements des personnages, avec des scènes de duos plus percutantes les unes que les autres.

Un magnifique quintet de comédiens va nous tenir en haleine durant toute la pièce.

Edmond, c’est Bruno Putzulu, qui a son habitude, nous ravit par sa palette de jeu.
Dans le rôle de ce journaliste incorruptible, il est beaucoup plus que convaincant. On croit tout à fait à cet homme qui va se battre pour son journal, sa raison de vivre.
Il a su rendre totalement crédibles les relations que son personnage entretient avec le pouvoir politique, financier, mais également avec sa fille.
Il nous fera rire et nous émouvra également énormément, notamment dans une scène déchirante.

A ses côtés, Bruno Debrandt sera un journaliste, peut-être un peu moins idéaliste… (Là encore, je vous laisse découvrir.)
Le comédien nous séduit beaucoup, avec son jeu de narrateur de l’histoire, et son personnage un peu en dilettante, un rien désabusé. Celui à qui on ne la fait plus.
Un personnage un peu ambivalent, qu’il restitue avec une finesse et une justesse jamais prises en défaut.

Bernard Malaka campe quant à lui un ministre cynique et machiavélique au possible.
Il est absolument captivant, et nous sommes à la fois stupéfaits et ulcérés par ce que son personnage nous apprendra.
On le sent jubiler à incarner cet homme fourbe sous des dessous doucereux et impitoyables.
Un très grand rôle.

Olivier Claverie incarne un « capitaine d’industrie » ultralibéral, également cynique, dénué de scrupules, vivant encore au temps de la Françafrique, au seul service de l’Argent.
Lui aussi nous fait comprendre on ne peut mieux certains rouages du couple politique et finance, n’hésitant pas à…. (Là encore, je ne peux m’étendre…)
Le comédien nous fait rire, lui aussi, notamment par le caractère désabusé de son personnage… Dans ce type qui nous fait comprendre qu’amis et ennemis comptent peu face au chiffre d’affaires, il est épatant.

Et puis c’est Carolina Jurczak qui joue la fille d’Edmond.
Dans sa prison, à Jakarta, ou dans la scène des retrouvailles avec son père, elle est elle aussi d’une totale justesse, nous émouvant beaucoup elle aussi.

Une très belle cohésion dramaturgique règne durant cette entreprise artistique des plus réussies.
On sent en permanence combien les cinq comédiens sont au seul service du spectacle.

Un spectacle que je vous recommande vivement.
On sort du Théâtre de Paris totalement convaincu, et surtout conscient que notre pays est toujours en proie à de graves dysfonctionnements démocratiques.

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