25 Janvier 2025
Jean-Luc Lagarce existe. Nous l’avons rencontré.
Même si c’est par l’intermédiaire de son journal intime.
Mais quelle idée lumineuse a eu Vincent Dedienne de proposer au metteur en scène Joahnny Bert "d’augmenter" le spectacle Juste la fin du monde, sur lequel ils étaient en train de plancher, quelle idée lumineuse donc de proposer de porter pour un diptyque sur le plateau du théâtre de l’Atelier les écrits diaristes de Lagarce !
On connaissait le Vincent Dedienne comédien, auteur, humoriste, homme de télévision et de radio, on savait qu’il était juré de la prestigieuse compétition de l’As d’or au Festival international des jeux de société à Cannes (A ce propos, M. Dedienne, si vous pouviez jeter un œil dans quelques semaines sur Harmonies ou Château combo)…
J’ignorais en revanche que celui qui se tenait ce soir devant nous était un passionné de la chose diariste.
En un mot comme en cent, un fervent lecteur de journaux intimes. Avec une vraie réflexion quant à leur contenu : sait-on jamais si tout ce qui est vrai a été réellement vécu...
Ce n’est pas lui qui entre d’abord en scène.
C’est en effet la scénographe, dessinatrice et graphiste Irène Vignaud qui prend place à cour, pour s’emparer de sa palette graphique, avec laquelle elle commence par tracer, projetés par un vidéo-projecteur sur un rideau de fils noir un triangle au sein d’un cercle. Tout le monde comprend...
Tout au long de cette heure passionnante, elle nous ravira de ses créations au crayon numérique blanc.
Et puis le voici, Vincent Dedienne, qui pénètre sur le plateau en courant.
Comme pour nous dire l’urgence qu’il a eu de nous dire ces extraits du journal du dramaturge, publiés durant toute sa vie sous la forme de vingt-trois cahiers.
Comme pour nous rappeler s'il en était encore besoin le caractère fulgurant de la destinée de celui qui a écrit ce qu'il va nous dire...
Cheveux très courts, veste noire et pantalon de cuir noir, comme un écho à la célèbre série de photos de Lagarce, portant un perfecto de la même matière.
Il se plante devant nous et ne bougera pratiquement pas de place, à part deux notables exceptions, pour des scènes bouleversantes.
Pour autant, c’est une voix off qui débute le spectacle.
M. Lagarce père. Qui dit tout le bien qu’il pense de son fils, et qui rappelle combien l’enfance du petit Jean-Luc a été souvent difficile et solitaire, comme le prouve cette anecdote où il a dû le détacher d’un arbre auquel l’avait attaché ses « petits camarades ».
Et puis le comédien entre dans le vif du sujet.
Il va nous dire les mots du dramaturge. Il va raconter ce qu’il a choisi de dire.
Et de quelle façon !
L’homme est un diseur. L’un de ceux qui nous attirent en un instant pour ne plus nous lâcher.
En devenant la voix la plus intime de Lagarce, en devenant même par moments Lagarce, il nous dresse finalement un portrait magistral de celui qui aura eu le temps avant ses 38 ans de nous laisser une œuvre essentiellement composée de vingt-cinq pièces de théâtre et un livret d’Opéra (Quichotte).
Nous allons beaucoup rire.
Vincent Dedienne a bien compris le côté pince-sans-rire et humour noir, souvent très très noir contenus dans ces lignes si personnelles.
La dérision occupe en effet une place essentielle dans ce journal.
Dérision par rapport à la vision répressive et discriminatoire de l’homosexualité dans les années 70/80.
Dérision vis à vis de sa famille. (La scène de la visite de M. et Mme Lagarce, montés du Doubs à Paris devient une magnifique scène de comédie !)
Dérision par rapport à lui-même : Lagarce, dans une lucidité sans faille, nous décrit ses nombreuses relations sexuelles d’un soir, ses rencontres dans les portes cochères, puis la maladie et ses ravages… Il ne nous épargne rien.
Et puis dérision par rapport à la mort, personnage qui émaille ces soixante minutes.
La sienne évidemment, provoquée par le virus du Sida, dont il nous donne sans complaisance mais sans pathos quantité de détails.
Mort également de nombreuses célébrités, dont les portraits seront dessinés et projetés par Mademoiselle Vignaud.
Vincent Dedienne est à la fois très drôle et bouleversant, passant en une fraction de seconde d’une émotion à l’autre.
Ses ruptures, ses inflexions, sa force comique nous captivent.
Il ne tombera jamais dans le piège tendu de la fausse compassion ou de la fausse pudeur : les extraits choisis sont terriblement signifiants.
Il parvient comme personne à oraliser les confidences intimes, mais aussi les plaisanteries, les provocations, les images littéraires magnifiques de Lagarce.
Joahnny Bert, dans une mise en scène minimaliste mais ô combien pertinente lui fera rencontrer Gary, l’un des derniers amants du dramaturge.
Dans une scène bouleversante, mise également en image à la palette graphique, nous comprenons énormément de choses quant à cette saloperie de Sida…
En complément de Juste la fin du monde donné donc ici même à l’Atelier (nous en reparlons plus que très prochainement), il faut assister à la performance de Vincent Dedienne, dans un presque seul-en-scène dans lequel on ne l’attendait pas forcément.
C’est un magnifique et captivant moment de théâtre qui rend hommage à l’un des auteurs majeurs de la fin du XXème siècle !
* Il ne m'est jamais rien arrivé dedienne 2025 - Théâtre de l'Atelier
Depuis 2009, il travaille au théâtre, dans différentes pièces du répertoire classique et contemporain notamment : de Molière, mise en scène de Jean-Claude Berutti, (2009), Comédie de Saint-...
https://www.theatre-atelier.com/event/il-ne-mest-jamais-rien-arrive-dedienne-2025/