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Du charbon dans les veines

© Photo Y.P. -

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Des corons, des porions, des pigeons, du charbon, des boutons d’accordéon.
Et des émotions.

Beaucoup d’émotions.
Justes, universelles, de celles qui comme ce fut mon cas, me firent monter les larmes aux yeux, pour la première fois de cette saison théâtrale 24/25.
De celles qui vous font également rire, ce rire qui en un instant, et la réciproque est vraie, prend le pas sur le tragique.

Voici ce que nous propose une nouvelle fois celui que je considère comme l’héritier spirituel de Marcel Pagnol, l’un de mes auteurs préférés.

Jean-Philippe Daguerre persiste et signe.
De nouveau, l’auteur majeur du théâtre français contemporain et populaire qu’il est (et sous mon traitement de texte, cet épithète « populaire » est un vrai compliment) Jean-Philippe Daguerre donc nous entraîne dans une tragi-comédie totalement maîtrisée, nous présentant des personnages attachants, touchants, et en un mot comme en cent, inoubliables.

Durant une heure et vingt minutes, nous allons nous plonger dans la vie de deux familles de mineurs, dans les années 60, deux familles dont l’arrivée de Leïla, fille d’un autre mineur immigré, va entraîner une mécanique dramaturgique aux ingrédients qui vont nous captiver et nous tenir en haleine.
La famille. Le thème de prédilection daguerrien.

A son habitude, l’auteur sait exactement où placer son curseur.
Dans une intrigue basée sur les rapports humains entre deux générations, sans aucun pathos de mauvais aloi mais au contraire grâce à sa vision humaniste jamais prise en défaut, il nous confronte non seulement à un tableau social d’une grande profondeur, mais également à une double intrigue captivante et bouleversante.

Il sera question d’oppositions entre des hommes, des femmes, en raison du manque de communication.
Il sera question aussi de racines, de pays que l’on quitte, d’intégration.
Mais l’amour et l’amitié seront les moteurs principaux de la mécanique dramaturgique.
Tout comme dans les chefs d’œuvre du grand Marcel, n’en finis-je pas de marteler.

© Photo Y.P.

Et puis, un personnage omniprésent planera durant ces quatre-vingts minutes.
La mort.
La camarde, qui de manière implacable planait dans ces mines de charbon, prélevant régulièrement son terrible impôt, permettant pourtant à la France d’alors de connaître une prospérité et une indépendance énergétiques.

L’auteur Daguerre m’a une nouvelle fois réjouit, grâce à sa plume et ses formules qui font mouche, qui nous touchent profondément ou qui nous font sourire.

Les fidèles lecteurs de ce site savent cet autre art que possède le metteur en scène Daguerre de bien s’entourer.
Au sein d’une magnifique scénographie qui permet de nous retrouver au sein d’un petit bistrot, d’un cabinet médical, dans la mine à de nombreuses centaines de mètres sous terre, une petite troupe de comédiens va camper avec une merveilleuse justesse ces hommes et ces femmes confrontés au destin.

Comme toujours, la direction d’acteurs est admirable.
Ici, il règne en permanence comme une évidence en matière de mise en scène, qui se fait d’ailleurs totalement oublier. C’est bien entendu un signe !
Ces personnages fiers, certains en colère, d’autres amusants, épiques, tous évoluent de telle manière que devant nous, la Vie avec un grand V se déroule, avec ce qu’elle peut avoir de drôle, de dérisoire ou de tragique.

 

Jean-Jacques Vannier et Aladin Reibel campent de façon magnifique deux mineurs retraités, l’un confronté à la dive bouteille et l’autre à la silicose.
Les deux comédiens forment un duo épatant totalement complémentaire, cohérent.
On a envie de s’en faire des amis, de leurs deux personnages, on est en permanence suspendus à leurs dires.

Leurs deux fils respectifs sont incarnés par Julien Ratel et Théo Dusoulié.
Les deux vont livrer eux aussi une très belle interprétation de ces quasi-frères, qui vont se retrouver opposés par la force des choses. Le destin.

Leïla est interprétée quant à elle par Juliette Béhar avec beaucoup de grâce et de force. On croit totalement à son personnage fille d’immigrés. Elle livre elle aussi une très belle performance.

Il est à noter qu’elle retrouve sur un plateau Julien Ratel : je les avais beaucoup applaudis dans L’homme de Schrödinger en 2018.

 

© Photo Y.P.


Raphaëlle Cambray joue magistralement quant à elle la seule mère de la pièce, voix de la raison et de la sagesse. Là encore une très belle interprétation, très émouvante.

Et puis Jean-Philippe Daguerre s’est auto-distribué, puisqu’il incarne un médecin de famille que l’on aimerait consulter : humaniste, passionné, et ce qui ne gâche rien, amateur de jazz.
Ses duos avec Jean-Jacques Vannier sont grandioses.

La musique joue un grand rôle dans la pièce. L’accordéon, le piano du pauvre, la valse musette réunissent tout ce petit monde. Là encore, le propos est particulièrement pertinent.

 

© Photo Y.P.


Sans rien dévoiler de la fin, il me faut vous informer qu’une merveilleuse ellipse finale nous cueille de plein fouet. Je vous assure que je n’en menais pas large…

Vous l’aurez compris, il faut absolument aller découvrir ce spectacle, qui d’ores et déjà se positionne comme l’une des très grandes réussites de la saison.

Un théâtre de sincérité, de justesse, d’humanité, de générosité, de vrais beaux sentiments.
La marque de fabrique de l’auteur-metteur en scène multi-Moliérisé en 2018.

Une pièce incontournable de cet hiver !

© Photo Y.P.

© Photo Y.P.

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